Le lent déclin des Québécois dans la ligue nationale

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’icône du Canadien Maurice «le Rocket» Richard a attisé pendant des décennies la passion des Québécois pour le hockey.

Il y aura 100 ans dimanche que la Ligue nationale de hockey existe : une assemblée tenue à l’hôtel Windsor de Montréal officialisa la création de ce qui allait devenir un superbe terrain de jeu pour de nombreux joueurs québécois… qui se font bien plus discrets en 2017.

Qui est le meilleur joueur québécois dans la Ligue nationale de hockey (LNH) ? À une époque pas si lointaine, la question aurait soulevé un débat enflammé pour trancher entre deux étoiles. Mais aujourd’hui, cette même question a les allures d’une colle : y a-t-il seulement une vraie vedette québécoise dans la LNH ?

On dira peut-être Kristopher Letang, Patrice Bergeron ou Jonathan Huberdeau — en attendant de voir ce que Jonathan Drouin deviendra. Mais il n’y a pas abondance de talents lumineux. « Dans les années 1990, on disait qu’une équipe Québec aurait battu équipe Canada : plus personne ne pense ça actuellement », note l’historien Laurent Turcot, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire des loisirs.

Depuis le début des années 2000, le nombre de joueurs québécois qui patinent sur une base régulière dans la LNH a essentiellement fondu de moitié. Cette saison, une trentaine des joueurs réguliers de la ligue sont nés au Québec… et aucun ne fait figure de candidat assuré pour le Temple de la renommée du hockey.

Or, en janvier dernier, quand la LNH a dévoilé sa liste des 100 meilleurs joueurs de l’histoire, 24 Québécois y figuraient. « On peut certainement dire que les Québécois ont apporté une très large contribution à la ligue », estime le chroniqueur d’expérience Bertrand Raymond, qui vient de publier 50 ans parmi les géants (et qui est membre du Temple de la renommée à titre de journaliste).

« Il y a eu des exploits incroyables accomplis par les Québécois, rappelle M. Raymond. Les deux plus grands gardiens sont Québécois [Patrick Roy et Brodeur], Raymond Bourque a été un défenseur absolument exceptionnel, Mike Bossy a eu neuf saisons d’affilée avec 50 buts et plus… C’est majeur. »

Auteur des Yeux de Maurice Richard : une histoire culturelle, l’essayiste et universitaire Benoit Melançon renchérit en rappelant « que deux Québécois ont changé la façon de jouer au hockey ». Il cite ainsi Jacques Plante, « premier gardien à porter un masque, mais aussi celui qui a transformé le rôle du gardien en devenant pratiquement un troisième défenseur ». Et il rappelle que Guy Lafleur a été « un des premiers ailiers à utiliser l’ensemble de la glace, parce qu’il trouvait que de jouer dans un couloir n’avait pas de sens ».

On pourrait ajouter que Mario Lemieux a redéfini l’art de la feinte servie avec une tasse de café et deux joueurs sur le dos, que Patrick Roy a imposé le style papillon que tous les gardiens utilisent aujourd’hui, qu’on doit à « Boom Boom » Geoffrion d’avoir « inventé » le lancer frappé et à Maurice Richard d’avoir prouvé qu’on pouvait déménager à mains nues tous ses meubles dans une journée avant d’obtenir cinq buts et trois passes contre Detroit en soirée (en décembre 1944).

L’effet Rocket

Avec l’autre grande figure mythologique du hockey des années 1950-1960, Jean Béliveau, Richard a beaucoup fait pour imposer l’idée d’une tradition d’excellence autour des joueurs québécois. « Ils incarnent deux figures qui permettent d’asseoir l’identité québécoise », estime Laurent Turcot.

Ce dernier trace le contraste : Maurice Richard en homme de peu de mots mais au discours franc, travailleur infatigable sur la glace, capable de réactions brutales quand on voulait lui manger la laine sur le dos ; Jean Béliveau en monsieur Parfait, « pas un coin qui dépasse, pas un mot plus fort que l’autre, celui qui fait toujours la job ». Deux joueurs aux antipodes, mais chacun brillant. Et deux marqueurs d’imaginaire, bien au-delà du hockey.

Dans son livre publié en 2006, Benoit Melançon rappelle à quel point le hasard a joué un rôle dans la construction du mythe Maurice Richard. Parce qu’il avait un surnom qui faisait rêver (« le Rocket », contrairement à un Patrick Roy surnommé « Casseau »), parce qu’il est arrivé avec le Canadien au moment précis où l’équipe se cherchait un sauveur, idéalement francophone ; parce que personne ne pensait qu’il allait réussir, lui qui accumulait les blessures ; parce que l’émeute qui avait été déclenchée par sa suspension en 1955 s’est inscrite (à tort ou à raison) en genèse de la Révolution tranquille. Sur la glace comme dans la vie, « le Rocket » était toujours au bon endroit au bon moment.

Le personnage est ainsi devenu plus grand que nature. Dans Le Devoir du 21 mars 1955, André Laurendeau revenait sur l’émeute en disant qu’elle était le symbole d’« un peuple frustré, qui protestait contre le sort. Le sort s’appelait, jeudi, M. Campbell [qui avait suspendu Richard] : mais celui-ci incarnait tous les adversaires réels ou imaginaires que ce petit peuple rencontre ». Plus loin dans le texte, il avançait que pour les Canadiens français, « Maurice Richard est une sorte de revanche ». Rien de moins.

Depuis cinq ans, sur 150 joueurs repêchés en première ronde, seulement 10 étaient québécois. On est vraiment dans des années de vaches maigres

Dilution

Selon l’historien du hockey Michel Vigneault, il ne faut toutefois pas exagérer l’importance des Québécois dans le grand tout du hockey. « La réalité, c’est que ça a été un sport anglophone dès le départ. Même la punch line de Maurice Richard, c’était deux anglophones et un francophone. Il y a eu d’excellents joueurs, mais il y a une distorsion dans les perceptions… »

Ainsi pense-t-il que le nombre de Québécois qui jouent actuellement dans la LNH est « représentatif du poids de la population québécoise ». Et encore : il y a essentiellement autant de Québécois que de Russes, de Tchèques ou de Finlandais cette saison, selon le site de statistiques QuantHockey.

Depuis le début des années 1990, l’arrivée massive de joueurs européens (incluant les Russes) a changé le visage du hockey. Il y a 35 ans, 80 % des joueurs de la ligue étaient Canadiens. Cette année ? Ils sont 46 %, alors que 28 % des joueurs sont Européens et 26 % sont Américains. La dilution du nombre de joueurs québécois — et de leur impact global — s’est donc faite dans un contexte de mondialisation du sport et d’élargissement du bassin de repêchage.

Mais comme plusieurs autres, Bertrand Raymond observe aujourd’hui qu’au-delà du nombre, peu de Québécois dominent le sport. Dans la liste des 100 meilleurs de l’histoire, un seul Québécois, le gardien Martin Brodeur, a été choisi pour la décennie des années 2000. Ils étaient près d’une dizaine pour la décennie 1970 — l’époque des Lafleur, Perreault, Dionne, Savard.

« Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne sort pas, dit-il. J’aimerais dire que c’est cyclique, mais il y a certainement un problème de développement dans le hockey junior québécois. Depuis cinq ans, sur 150 joueurs repêchés en première ronde, seulement 10 étaient québécois. On est vraiment dans des années de vaches maigres. »

Cela diminue-t-il l’attachement des Québécois envers le sport ou le Canadien ? Visiblement non, soumet Benoît Melançon en rappelant que le hockey demeure ici très populaire, selon tous les indicateurs. « Mais il y a eu un changement majeur dans les dernières années, pour répondre au phénomène de marchandisation du sport et au fait que les joueurs ne sont plus attachés à une seule équipe pour leur carrière. C’est-à-dire qu’on s’attache à l’équipe comme institution plutôt qu’aux joueurs en particulier. C’est ce que le Canadien a fait pour réussir à garder un lien aussi fort avec son public. Je dis souvent que la meilleure équipe au Centre Bell, c’est celle du marketing — et c’est encore plus vrai cette année. »

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