Une année intense pour la recherche scientifique

Une étrange pneumonie est apparue à la fin de l’année 2019 à Wuhan, en Chine. On peut toutefois situer le coup de départ de l’aventure scientifique la plus intense du XXIe siècle quelques semaines plus tard, le 11 janvier 2020. C’est ce jour-là que des chercheurs chinois et leur collègue australien déposent en ligne la séquence génétique du nouveau virus. Disponible en libre accès, l’alignement de nucléotides est similaire à 89 % à celui du SRAS-COV, responsable du syndrome respiratoire aigu sévère qui avait provoqué une épidémie en 2003. Le constat effraie, mais les risques demeurent difficiles à évaluer.
Partout dans le monde, des scientifiques se mettent aussitôt à l’œuvre pour comprendre ce coronavirus et étouffer sa propagation potentielle. En ce même 11 janvier, on rapportait d’ailleurs le premier décès associé à la pneumonie émergente. Près d’un an plus tard, 1,3 million de vies ont été arrachées. En parallèle à ce drame, un chemin impressionnant a été parcouru sur la route de la science : on dispose maintenant de meilleurs traitements, on comprend assez bien les mécanismes biologiques causant la maladie et une cinquantaine de vaccins font l’objet d’études cliniques chez l’humain.
Biobanque québécoise
Dans notre coin de pays, l’effort scientifique a véritablement pris son envol au mois de mars. « Comme les pays européens, on voyait que c’était un peu loin, raconte Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec. C’était en Chine, on se disait que ça ne nous toucherait pas demain matin. […] Puis, tout à coup, oups !, on voit des cas en Italie. » Aussitôt, les propositions affluent aux Fonds de recherche du Québec (FRQ) et aux ministères de l’Économie et de la Santé. En quelques semaines, plus de 700 projets sont soumis.
En parallèle, un groupe de travail est formé pour mettre en place la biobanque québécoise de la COVID-19, dont l’objectif est de mettre à la disposition des chercheurs des échantillons prélevés sur des malades. Vincent Mooser, le titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada en médecine génomique à l’Université McGill, en fait partie. « On s’est réunis deux heures tous les jours pendant 30 jours, sept jours sur sept. Parce qu’on avait un mandat clair, un défi devant nous, les cas commençaient à monter en nombre dans les hôpitaux », dit celui qui est aussi le directeur de la biobanque.
La biobanque ne contient pas d’échantillons du virus, mais plutôt des prélèvements sanguins des malades. On en extrait certains dérivés, comme de l’ADN, de l’ARN et du plasma. Cela permet aux collaborateurs du projet de trouver les déterminants cliniques et moléculaires qui permettent de prédire la susceptibilité, la sévérité et les complications de la COVID-19 chez des patients hospitalisés. « La biobanque n’est pas un but en soi, c’est un outil pour que les chercheurs puissent répondre à certaines questions scientifiques bien définies », explique le Dr Mooser.

Environ sept mois après son lancement, la biobanque contient les échantillons d’environ 1500 participants. Ils sont stockés dans neuf hôpitaux de la province et au Centre du génome de l’Université McGill, qui accueille Le Devoir pour une visite. De précieuses gouttes de matériel génétique purifié y sont conservées dans des congélateurs –80 °C. « Il faut faire vite ! » lance Corinne Darmon, une assistante de recherche du laboratoire, lorsque nous ouvrons la porte pour jeter un coup d’œil aux échantillons. Tout près d’elle, une machine manipule des éprouvettes de plastique. Des billes magnétiques microscopiques sont utilisées pour séparer l’ARN des autres composantes de la bouillie sanguine.
Dans une pièce contiguë, sept gros congélateurs ronronnent. « Nous avons un système de monitorage, dit Pierre Lepage, le responsable de la plateforme de génomique du laboratoire. Si la température monte trop, on nous appelle sur notre téléphone. L’ADN est assez stable, mais l’ARN est très sensible à la chaleur. » Bientôt, souligne M. Lepage, il faudra trouver un endroit où stocker à long terme les échantillons.
L’été dernier, la biobanque québécoise sur la COVID-19 était l’une des plus grandes dans le monde, soulève Vincent Mooser. Par la suite — « heureusement » —, le nombre de cas de COVID-19 a diminué dans la province, tout comme le rythme de remplissage de la biobanque. Néanmoins, du fait d’une organisation rapide, « on a pu profiter de cette première vague, alors même que dans les autres pays la plupart de nos collègues étaient submergés par leurs obligations cliniques ou bien les hôpitaux étaient débordés », explique le directeur.
À l’échelle internationale, plus de 9 milliards $US ont été investis en recherche et développement au sujet de la COVID-19 depuis le 1er janvier 2020, selon le groupe de réflexion Policy Cures Research. La moitié de cet argent, d’origine gouvernementale, philanthropique ou provenant de l’industrie, est destinée au développement de vaccins. Les outils de diagnostic et les médicaments gobent ensemble plus de 2 milliards. La recherche fondamentale, elle, reçoit un peu plus de 200 millions.
Essor de la science ouverte
« On a vu un effort sans précédent des chercheurs de partout à travers le monde, qui se mettent ensemble, qu’ils soient du secteur public ou privé », note Rémi Quirion, qui considère que la lutte contre la COVID-19 est l’une des plus grandes entreprises scientifiques de tous les temps. « Beaucoup, beaucoup des résultats de recherche étaient en libre accès, ajoute-t-il. La séquence du virus, par exemple, a très rapidement été rendue publique. Les collègues de partout dans le monde pouvaient échanger avec les chercheurs en Chine. Ça s’est fait très rapidement. » S’il n’y a pas beaucoup de bons côtés à la pandémie, l’essor de la science ouverte en est un, croit-il.
Vincent Larivière, professeur à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, partage cet avis : la science ouverte va sortir plus forte de la pandémie. Au début de la pandémie, énormément d’articles ont été publiés en ligne avant la traditionnelle révision par les pairs. Certains experts parlaient même d’une progression « épidémique » du nombre de ces papiers qu’on nomme, dans le jargon anglo-scientifique, des preprints. « Il y a des chercheurs qui, dans le contexte actuel, ont pris l’habitude de déposer des preprints et qui vont probablement continuer à le faire, croit M. Larivière. Ils ont compris l’intérêt collectif de diffuser plus tôt leurs résultats de recherche. »
On a vu un effort sans précédent des chercheurs de partout à travers le monde, qui se mettent ensemble, qu’ils soient du secteur public ou privé
En plus des preprints, au moins 70 000 articles en bonne et due forme ont été publiés depuis le début de l’année sur la COVID-19. (Environ cinq millions d’articles sont publiés en tout chaque année.) Et la science liée à la COVID-19 n’est pas la chasse gardée des virologues, épidémiologistes et immunologues. La pandémie change la société dans son ensemble, si bien que nombre d’économistes, d’historiens des sciences et de sociologues y consacrent maintenant leur cerveau. « Il y a quelque chose qui est massif » avec le coronavirus, note Vincent Larivière, qui ajoute que le nombre de chercheurs sur la planète est actuellement beaucoup plus élevé qu’il ne l’était dans les années 1940, lors de la Seconde Guerre mondiale.
À cause des coffres publics gravement amputés, M. Larivière craint que les financements n’accusent des coupes. Jusqu’à présent, les gouvernements ont choisi de « s’endetter collectivement davantage pour continuer à financer la recherche », mais cela tiendra-t-il ? « Quand on va atterrir, il faut s’assurer qu’on continuera nos investissements en recherche, parce que ça couvre à la fois la prévention de prochaines pandémies, mais aussi la solution à une pandémie qui pourrait quand même arriver. »