Chute marquée des avortements en 2020

Stable depuis plusieurs années au Québec, le nombre d’avortements a diminué de 9 % en 2020, selon des données obtenues par Le Devoir auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Chez les moins de 19 ans, ce chiffre s’élève à 13 %. Cette baisse pourrait bien s’expliquer par la pandémie de COVID-19, estiment les experts consultés.
En 2020, 21 778 avortements ont eu lieu, contre 23 837 en 2019, selon la RAMQ. Ces chiffres comprennent les interruptions volontaires de grossesse et les avortements thérapeutiques (par exemple, les curetages effectués à la suite d’une fausse couche). La RAMQ affirme être incapable de distinguer les deux types d’intervention avec les codes de facturation actuels des médecins.
Malgré tout, la tendance à la baisse des avortements volontaires est significative, d’après la Dre Édith Guilbert, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec.
Les curetages influent peu sur les données de la RAMQ puisqu’il « s’en fait très peu », précise-t-elle.
La Dre Guilbert croit que les mesures sanitaires ont joué un rôle dans la chute des interruptions volontaires de grossesse (IVG). « La réduction des déplacements, le confinement et le couvre-feu font en sorte qu’il y a probablement moins de contacts et donc moins de risques de relations sexuelles non protégées », explique-t-elle.
À Montréal, la clinique Morgentaler a réalisé environ 10 % moins d’avortements (chez ses patientes couvertes et non couvertes par la RAMQ) en 2020 par rapport à l’année précédente.
La directrice de la clinique, France Désilets, pense que les mesures sanitaires ont contribué à diminuer les grossesses non désirées. Elle précise ne pas être une scientifique. « Mais on s’entend sur le fait que, quand il y a une demande de ne pas se rassembler, que les bars et les restaurants sont fermés, que les hôtels sont réservés aux bulles familiales, il va y avoir moins de grossesses », dit-elle.
Naissances en baisse
La pandémie semble d’ailleurs avoir eu un effet sur les naissances. Entre octobre et décembre 2020, 19 300 Québécois ont vu le jour, contre 20 692 durant la même période en 2019, selon l’Institut de la statistique du Québec.
« Les données préliminaires des premiers mois de 2021 devraient confirmer la tendance à la baisse des naissances », estime Benoît Laplante, professeur au Centre Urbanisation Culture Société à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
Selon le chercheur, la crise sanitaire a incité des couples à retarder leur projet d’avoir un enfant. « L’explication la plus vraisemblable [de la diminution des naissances], c’est la réaction de crainte des gens vis-à-vis des conditions économiques immédiates », juge M. Laplante.
Des femmes ont aussi décidé d’interrompre leur grossesse en raison du contexte économique, selon le Dr Claude Paquin, directeur médical de la clinique Fémina. « Il y a des patientes qui l’ont verbalisé clairement : “Mon chum a perdu sa job, j’ai perdu ma job. Oui, on est super tristes. On aurait aimé avoir un troisième bébé. Si le contexte avait été différent, je ne suis pas sûre que je serais ici”. On a entendu ça relativement fréquemment. »
À la clinique médicale Fémina, le nombre d’avortements a diminué de 5,2 % en 2020, en comparaison avec l’année précédente.
La Fédération du Québec pour le planning des naissances rappelle que, grâce à la contraception, le nombre d’avortements a diminué pendant une dizaine d’années dans la province, avant de se stabiliser en 2016. Selon elle, la baisse actuelle peut s’expliquer par un difficile accès à l’IVG en région durant la pandémie. « Les points de service sont parfois éloignés, dit la chargée de projet Ludivine Tomasso. Le confinement et le couvre-feu, ça peut limiter la capacité des personnes à avoir accès à ces services, si vous devez faire de la voiture ou l’aller-retour plus vite. »
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) affirme que les services d’avortement ont été jugés « essentiels » dès le printemps 2020. « Aucune consigne de délestage d’activité n’a été donnée », écrit le MSSS. Les cliniques contactées par Le Devoir disent toutes avoir poursuivi les interventions l’année dernière.
Pilule abortive
Pendant la pandémie, le MSSS a encouragé la télémédecine et le recours à la pilule abortive, un traitement disponible depuis 2018 au Québec et destiné aux femmes enceintes de neuf semaines et moins. Selon la RAMQ, les avortements médicamenteux sont passés de 1888 en 2019 à 2607 en 2020.Il s’agit d’un progrès, selon la Dre Édith Guilbert. Mais la proportion des interruptions volontaires de grossesse par pilule abortive est encore faible, juge-t-elle.
Le Québec accuse un retard important par rapport au reste du Canada, déplore la Dre Wendy V. Norman, qui dirige un groupe de recherche sur l’avortement et la contraception à l’Université de la Colombie-Britannique. Elle souligne qu’en 2019, environ 50 % des IVG en Colombie-Britannique ont été réalisées au moyen de la pilule abortive. Plus de 30 % l’ont été en Ontario la même année.
Au Québec, 8 % des avortements ont été effectués à l’aide d’un traitement médicamenteux entre le 1er janvier 2018 et le 31 mai 2019, selon un rapport du Collège des médecins du Québec.
La Dre Wendy V. Norman dénonce les restrictions « non nécessaires » imposées par le Collège pour offrir un tel traitement. « À l’extérieur du Québec, la pilule abortive peut être prescrite par n’importe quel médecin ou infirmière praticienne [superinfirmière] sentant avoir la compétence pour le faire », dit-elle.
Les médecins québécois qui œuvrent dans des cliniques d’avortement peuvent prescrire la pilule abortive. Mais ceux qui souhaitent le faire en cabinet doivent avoir suivi une « formation de base initiale » et une mise à jour de leurs connaissances afin d’offrir des « soins sécuritaires », indique le Collège des médecins du Québec, qui se défend de limiter l’accès à la pilule abortive.
Interpellé par Le Devoir, le Collège rapporte avoir sondé récemment cinq cliniques d’IVG au sujet de la pilule abortive. Dans la majorité d’entre elles, 20 à 25 % des patientes enceintes de moins de neuf semaines ont eu recours à ce traitement médicamenteux. Certaines cliniques dépassent même le seuil des 30 %, selon le Collège.
Il affirme toutefois vouloir rendre la pilule abortive plus accessible en région. Dès la fin avril, il compte recenser, avec le MSSS, les omnipraticiens et spécialistes offrant des soins d’IVG et pouvant offrir des formations à des médecins de famille qui souhaitent en faire autant.