Les accidents fatals en hausse dans le réseau de la santé

«Le portrait est assez sombre, on ne voit pas d’amélioration», remarque le directeur général du réseau FADOQ.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Le portrait est assez sombre, on ne voit pas d’amélioration», remarque le directeur général du réseau FADOQ.

Chutes, erreurs de médication et autres accidents survenus dans le réseau de la santé ont tué 378 personnes en 2016-2017. Une hausse de presque 16 % par rapport à l’année précédente. Les trois quarts des décès sont survenus chez des personnes âgées de plus de 75 ans : dans 63 % des cas, c’est une chute qui a été fatale.

Voilà un des constats du rapport annuel sur les incidents et accidents que le ministère de la Santé et des Services sociaux a déposé sur son site Web le 21 décembre.

Les événements classés « autres » sont la deuxième cause de décès par accident dans le réseau. Le suicide ou l’étouffement en font partie.

« Le portrait est assez sombre, on ne voit pas d’amélioration », remarque avec inquiétude le directeur général du réseau FADOQ, Danis Prud’homme. « Remettre un rapport, ça ne suffit plus. Il faut moderniser les processus pour éviter au maximum ces accidents », affirme cette voix des aînés au Québec.

« On le voit dans le rapport, les femmes aînées sont les plus à risque, il faudrait les cibler et les protéger », demande aussi Judith Gagnon, la présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR). En effet, 53 % des incidents et accidents enregistrés en 2016-2017 dans le réseau, qu’ils aient des conséquences ou non pour les patientes, ont touché des femmes.

Par courriel, le MSSS a souligné au Devoir que les événements ayant mené à un décès ne représentent que 0,08 % des incidents et accidents déclarés dans l’année. Les personnes de plus de 75 ans sont « une clientèle qui consomme plus de soins et de services que les autres groupes d’âge, qui est hébergée sur du long terme ou qui a les plus longs séjours d’hospitalisation et qui est aussi le plus susceptible de chuter en raison de leur fragilité », a expliqué la responsable des relations avec les médias Marie-Hélène Émond.

Québec a formé un groupe de travail sur la sécurité des soins et des services dans les derniers mois. Ce dernier doit déposer un plan d’action pour l’automne 2018. Les 15 membres du comité sont issus du MSSS et des différents établissements du réseau, majoritairement des cadres.

Un demi-million d’incidents et accidents ont été enregistrés dans le réseau, indique aussi le rapport, soit une croissance de 4 % entre 2015-2016 et 2016-2017. Les chutes, qui représentent 35 % des événements, et les erreurs de médication (27 %) sont les plus fréquentes.

La majorité des incidents et accidents rapportés, soit 85 %, n’ont eu aucune conséquence pour les patients.

Les chutes sont les incidents les plus fréquents en CHSLD alors que les erreurs de médication se classent premières dans les centres hospitaliers.

 

Des « conséquences temporaires » pour les patients ont été enregistrées dans 73 855 cas.

De plus, si les événements ayant entraîné la mort sont en hausse, ceux ayant eu des conséquences « graves et permanentes » enregistrent une baisse de 9 %, pour un total de 323 patients touchés.

Les auteurs du rapport soulignent que les données « doivent être interprétées avec prudence » en raison du phénomène de sous-déclaration. C’est la 9e année que le MSSS publie un tel rapport.

On ne peut pas jurer de la fiabilité des données, remarque aussi Régis Blais. Le professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, dans une étude publiée en 2008, il avait constaté que seulement 15 % des incidents et accidents relevés dans les dossiers des patients avaient fait l’objet d’un signalement officiel. « Mais de toute façon, les soins doivent s’améliorer et on doit pouvoir le mesurer, dit-il, que ce soit par le nombre de décès causés ou les réadmissions moins de 30 jours après avoir eu son congé, par exemple. »

Le rapport rapporte aussi que les déclarations d’abus, d’agressions et de situations de harcèlement ont crû de plus de 6 % par rapport à l’année précédente. Un phénomène que le MSSS attribue à une « hausse du taux de déclaration, à une meilleure transparence et à l’instauration d’une culture de déclaration au sein des établissements du réseau de la santé et des services sociaux, mais également au sein de la société québécoise ».

Une hausse de près de 30 % des événements indésirables en lien avec un test de laboratoire serait due à une situation de sous-déclaration antérieure dans la région de Lanaudière qui a été enrayée, selon le MSSS. Interprétation partagée en partie par le syndicat qui représente les techniciens et professionnels des laboratoires dans cette région. « Chaque irrégularité est notée et rapportée », a confirmé en entrevue Richard Belhumeur, répondant politique pour l’APTS dans Lanaudière.

Des solutions connues

 

Le gériatre David Lussier rappelle que les solutions sont connues pour prévenir les chutes et les erreurs de médication. L’approche adaptée à la personne âgée, qui depuis 2011 doit être implantée par les établissements, « contient déjà les recommandations nécessaires », dit-il.

Pour minimiser les risques de chutes, plusieurs actions sont possibles : diminuer la médication qui cause de la somnolence, assurer un bon éclairage, procurer des souliers stables, s’assurer que les patients portent des lunettes adéquates, par exemple. « Il faut aussi du personnel pour mobiliser les patients le plus possible, pour qu’ils maintiennent leur force musculaire. La contention, plutôt que diminuer l’incidence des chutes, les augmente », explique le Dr Lussier.

Les erreurs de médication, quant à elles, ne sont pas étrangères à la surcharge de travail du personnel, remarque-t-il. « La pression qui pèse sur les gens dans le réseau, ça ne peut qu’augmenter le nombre d’accidents », s’inquiète aussi Danis Prud’homme.

Professeur au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’Université de Montréal, François Béland s’interroge : avec la disparition des conseils d’administration locaux des établissements de santé, « qui exerce la responsabilité de poser des questions », de mettre en place les correctifs ? « Ça prend un retour, sur les étages, auprès du personnel, c’est très important », souligne ce dernier.

Le MSSS a indiqué au Devoir que « chaque établissement effectue l’analyse de ses événements et met lui-même en place des actions correctives à la suite de cette analyse. »

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