Les psychiatres aux antipodes sur les motifs de la tuerie dans le Vieux-Québec

Le jury doit déterminer si Carl Girouard savait ce qu’il faisait le soir de l'attaque dans le Vieux-Québec.
Photo: Renaud Philippe Le Devoir Le jury doit déterminer si Carl Girouard savait ce qu’il faisait le soir de l'attaque dans le Vieux-Québec.

Le procès de l’auteur de l’attaque dans le Vieux-Québec plonge cette semaine au cœur du débat de fond : la santé mentale. L’accusé était-il en plein délire psychotique au moment de perpétrer ses crimes ? Ou est-il plutôt un narcissique sans diagnostic grave ?

La semaine dernière, le témoin expert de la Défense, Gilles Chamberland, avait soutenu que Carl Girouard, 26 ans, était en plein délire le soir du 31 octobre 2020 lorsqu’il a violemment assassiné deux personnes et en a blessé cinq autres avec un sabre japonais.

Aux yeux de ce psychiatre, l’accusé souffre, à la fois, d’un trouble du spectre de l’autisme et de symptômes de schizophrénie.

Dans son témoignage, il avait aussi insisté sur le fait que le tueur n’avait pas tendance à se poser en victime, comme le font les auteurs de crimes ayant des traits narcissiques. « Tout le long de son histoire personnelle, il ne met jamais ça sur le dos des autres. » D’autres types de tueurs « ont l’impression d’être victimes de tous », « accumulent de la colère, du ressentiment, veulent se venger. Pas lui », avait fait valoir M. Chamberland.

Mais voilà que depuis lundi, le témoin expert de la Poursuite avance pratiquement le contraire. Selon le neuropsychologue William Pothier, il est « peu probable » que Carl Girouard soit dans le spectre de l’autisme ou encore qu’il souffre de schizophrénie.

D’après lui, l’accusé a plutôt des traits narcissiques et souffre de troubles anxieux. Au moment d’élaborer son plan de tuerie, il aurait été « obnubilé par son image de soi ».

Pour affirmer cela, le psychologue s’appuie sur une entrevue de plusieurs heures menées avec Carl Girouard, ainsi que sur deux tests visant à définir les profils psychologiques et reconnus dans son domaine (un questionnaire, et des images de taches d’encre à interpréter).

Un « mauvais Carl » pour se déresponsabiliser

M. Pothier est aussi revenu sur les propos tenus par l’accusé en Cour selon lesquels « deux Carl » cohabitaient en lui et que c’est le « mauvais Carl » qui avait tué des gens tandis que le « bon » était celui qui prenait part au procès.

Aux yeux du témoin expert, c’est une façon pour lui de se poser en victime et de se déresponsabiliser. « Au bout du compte, il ne blâme pas les autres, mais il blâme un autre Carl qui n’est pas lui », a fait valoir M. Pothier. « Dans le narcissisme ici, le clivage sert encore une fois à protéger l’estime. Je prends toutes mes qualités, je les mets dans une boîte ; mes défauts, je les mets dans une autre boîte et ça, c’est pas moi. »

Rappelons que, dans le cadre de ce procès, l’accusé reconnaît les crimes qu’il a posés. Le débat est ailleurs. Le jury doit déterminer si l’accusé savait ce qu’il faisait ce soir-là ou s’il peut être déclaré criminellement non-responsable pour cause de troubles mentaux, comme le plaide son avocat.

Mardi, ce dernier, Me Pierre Gagnon, a cherché à mettre en évidence les incohérences dans le témoignage de William Pothier et a attiré l’attention du jury sur sa jeune expérience comme témoin-expert.

M. Pothier a expliqué qu’il travaillait à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ) depuis 2018 et qu’il avait été mandaté par le psychiatre Sylvain Faucher pour évaluer le dossier de Carl Girouard.

Me Gagnon a aussi voulu savoir pourquoi le neuropsychologue n’avait pas davantage tenu compte d’un rapport d’expert réalisé lorsque Girouard était enfant. L’auteur de ce rapport, cité par le Dr Chamberland, imputait au petit garçon des « idéations morbides » et une « problématique intrapsychique très importante ». Au terme d’un interrogatoire très serré, M. Pothier a expliqué qu’il n’avait pas jugé cela « très pertinent ».

Lundi, la Poursuite s’était livrée à un exercice similaire avec le Dr Chamberland. Le procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me François Godin, avait notamment soutenu que le Dr Chamberland avait un « biais de confirmation d’hypothèse », c’est-à-dire qu’il se réfugiait dans ses idées préconçues.

Avec La Presse canadienne

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