Les porcheries du Québec sont pleines

À la ferme Bellevue, en Estrie, les porcs deviennent trop gros et trop nombreux.
Photo: Renaud Philippe Le Devoir À la ferme Bellevue, en Estrie, les porcs deviennent trop gros et trop nombreux.

Près de 136 000 bêtes s’entassent présentement dans les fermes en raison du conflit de travail à l’usine Olymel de Vallée-Jonction, selon Les Éleveurs de porcs du Québec. Leur santé serait de plus en plus à risque, surtout avec la chaleur prévue cette semaine, disent-ils. Le Devoir a visité une ferme de l’Estrie touchée par ce problème.

Martin Viens compte les porcs qui se reposent dans les derniers enclos au bout de la ferme Bellevue. L’éleveur use de toutes les stratégies qu’il a dans sa manche pour répartir les bêtes de façon à leur donner le plus d’espace possible.

« Ici, ils sont trop nombreux. Ils devraient être 39 de cette grosseur, mais il y en a 45 », dit l’éleveur en désignant un parc intérieur clôturé occupé entièrement par des cochons dodus étendus sur le sol. « Regarde, lui, il se lève et il dérange tout le monde. »

Dans cette ferme, M. Viens, ses partenaires d’affaires et trois travailleurs guatémaltèques font grossir des milliers de porcs, de leur naissance jusqu’à leur départ pour l’abattoir. Sauf que depuis le 28 avril, cette dernière étape est sérieusement entravée. Olymel est la seule entreprise disposée à acheter, abattre et transformer ses animaux en jambon, côtelettes et saucisses, dit-il. La grève générale illimitée qui se poursuit à Vallée-Jonction crée déjà un retard pour plus de 1250 de ses bêtes dans deux sites d’élevage dont M. Viens est copropriétaire.

« Celui-là est prêt. Celui-là aussi. Celui-là fait 150 kilos, il est plus que prêt », affirme l’éleveur en pointant de gros cochons roses dont certains auraient dû cesser de vivre il y a quatre semaines, selon le cours habituel des choses.

Les bêtes grossissent, grossissent et sont à l’étroit dans leurs enclos. Certains ont de la difficulté à frayer leur chemin jusqu’à l’eau et la mangeoire, ce qui est susceptible de leur causer de la faim et de la détresse. Certains enclos sont très sales : M. Viens estime qu’il est difficile de les nettoyer adéquatement dans le contexte actuel.

« J’ai mes limites au niveau du bien-être animal. Elles sont très près d’être dépassées », affirme le grand homme habillé d’un couvre-tout brun-beige, au milieu des grognements assourdissants des bêtes.

Selon l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ) et l’Association des vétérinaires en industrie animale du Québec (AVIA), la situation est propice au développement de divers problèmes de santé pour les cochons. « Que l’on pense au stress occasionné par leur déplacement, à leur entassement dans des bâtiments trop exigus ou encore à l’augmentation de l’utilisation d’antibiotiques pour pallier les conditions sanitaires déficientes dans lesquels les animaux sont gardés, il est clair que la situation est insoutenable et qu’elle doit cesser au plus vite », a souligné la semaine dernière le Dr Gaston Rioux, président de l’OMVQ, par voie de communiqué.

Des coûts pour les éleveurs

 

Pour se donner de la marge de manœuvre, M. Viens a réussi à louer un espace dans une autre ferme et à y transférer 700 porcs, au coût de 130 000 $. Il doit continuer de les nourrir et d’en prendre soin, ce qui engendre des frais supplémentaires, pendant que les revenus, eux, sont en attente.

Dans la section « maternité » de la ferme, des centaines de porcelets continuent de naître et de téter leurs immenses mères dans des petits cubicules, ne se doutant de rien. Le fermier peut-il ralentir sa production pour éviter un débordement ? Non, indique-t-il. S’il arrête d’inséminer ses 650 truies, ce sera très difficile de faire en sorte qu’elles retombent enceintes plus tard, explique celui qui est éleveur de père en fils. Or, devant l’incertitude causée par le conflit de travail, difficile de savoir combien de porcs seront nécessaires à quel moment et de prévoir en conséquence.

Les éleveurs de porcs craignent que les porcs excédentaires doivent être prochainement euthanasiés pour des raisons humanitaires. L’organisme demande au ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, d’intervenir dans le conflit chez Olymel. Le président des Éleveurs de porcs, David Duval, et le président de l’Union des producteurs agricoles, Marcel Groleau, prévoient d’ailleurs une sortie publique lundi à ce sujet en Beauce, où les conséquences de la crise sont les plus importantes.

Le ministre Boulet a reconnu « les répercussions désastreuses pour les éleveurs et les consommateurs ». Selon lui, il serait « intolérable » qu’il y ait du gaspillage alimentaire. « Des conciliateurs chevronnés de mon ministère sont à pied d’œuvre pour dénouer l’impasse. Les parties ont tous les outils pour faire cesser ce conflit dans les meilleurs délais possibles », a-t-il déclaré dimanche par courriel.

La direction d’Olymel a déploré vendredi que le Syndicat des travailleurs d’Olymel Vallée-Jonction-CSN se soit retiré de la table de conciliation. De son côté, le syndicat a affirmé avoir fait une nouvelle proposition salariale, rejetée par l’employeur.

M. Viens, lui, est inquiet. Il n’a pas du tout envie d’euthanasier ses « beaux cochons ». Il ne sait même pas de quelle manière il s’y prendrait. Mais il se demande pourquoi il continue de s’occuper d’animaux dans des conditions dommageables pour son portefeuille et pour leur bien-être. 

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