Des anges gardiens du Québec s’impatientent

Plus d’un an après l’ouverture du programme spécial de régularisation, de nombreux demandeurs d’asile ayant travaillé au Québec dans le milieu de la santé durant la première vague de la pandémie s’impatientent devant la lenteur à obtenir leur résidence permanente. Sur 2275 dossiers (représentant 4535 personnes) déposés depuis le début du processus, à peine 28 % ont été finalisés, selon les plus récentes données fournies par Immigration Canada au Devoir. La plupart des dossiers (69 %) ont été approuvés, mais sont dans le camp du gouvernement fédéral, à la dernière étape du processus.
« Ça fait plus d’un an. C’est très long », déclare la directrice de la Maison d’Haïti, Marjorie Villefranche. « Ça bloque à divers niveaux. » Elle souligne que les demandeurs d’asile québécois, souvent appelés les « anges gardiens », doivent d’abord passer l’étape de l’obtention d’un Certificat de sélection du Québec (CSQ), ce qui peut expliquer les délais plus longs. « Ça double le temps pour avoir les papiers », dit-elle. « Quand on regarde ce qui se passe dans les autres provinces, plus de gens ont obtenu leurs papiers. »
En effet, en Ontario, la province où le programme a été le plus populaire, environ 40 % des 3385 dossiers soumis (représentant 8110 personnes) ont été finalisés. La grande majorité d’entre eux demeurent en attente d’un dénouement. Dans l’ensemble du Canada, 5930 dossiers ont été déposés, et 2050 (35 %) ont abouti à une résidence permanente. Au regard des dossiers ayant reçu une « approbation de principe », cette proportion est toutefois d’environ 50 %.
Établi au Québec, Doris Bissakonou attend toujours sa résidence permanente, après avoir postulé au programme des anges gardiens en mars 2021. Originaire de la Centrafrique, le jeune homme de 23 ans a demandé l’asile en février 2020, tout juste avant que la pandémie ne frappe. « J’ai travaillé comme préposé aux bénéficiaires, sur la première ligne. J’ai prêté main-forte pendant que d’autres étaient chez eux. J’ai travaillé dur, souvent seul sur mon étage », a-t-il raconté.
Jugé admissible au programme, M. Bissakonou a complété l’étape de la sélection du Québec en moins de deux mois et a ensuite soumis son dossier au gouvernement fédéral pour l’étape finale de la résidence permanente. Mais selon ses dires, son dossier aurait été suspendu à la fin de l’été, et il n’a plus de nouvelles depuis. « Je n’ai aucun retour, et mon permis d’étude est expiré », souligne le jeune homme qui s’estime « bloqué ».
Retard généralisé
Selon Martin Savard, du Centre social d’aide aux immigrants (CSAI), il y a un retard généralisé dans toutes les catégories de demandes d’immigration, y compris pour les permis d’étude et la réunification familiale. « La COVID a causé un gros retard, et personne n’y échappe », constate-t-il. Il souligne que l’accueil des réfugiés afghans depuis la fin de l’été dernier a également contribué à retarder le processus.
« Pour les anges gardiens, c’est toujours trop long, car ça fait plusieurs mois qu’ils attendent. Pendant ce temps, ils continuent de se trouver dans une situation vulnérable », note M. Savard. En plus de mettre fin à l’angoisse, la résidence permanente permettra à ces personnes de retourner aux études à moindres coûts, pour terminer l’école secondaire ou pour se spécialiser dans un domaine. « Elles n’auront plus à demander le renouvellement de leur permis de travail. Ça va simplifier leur vie », ajoute-t-il.
Si l’étape du CSQ est terminée dans la majorité des cas, plusieurs anges gardiens attendent toujours d’être régularisés par le gouvernement fédéral. « Quand on regarde nos dossiers, je dirais que c’est 50-50 entre ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas. »
Au cabinet du ministre de l’Immigration Sean Fraser, on aimerait que le traitement soit plus rapide, mais on indique que les délais seraient dans la norme par rapport à d’autres programmes en immigration. Certains demandeurs d’asile peuvent avoir fourni des dossiers incomplets ou ne pas avoir été capables de fournir les preuves qu’ils sont admissibles au programme. Selon l’attachée de presse, Émilie Simard, les délais de traitement varient aussi en fonction « de la facilité avec laquelle nous pouvons vérifier les renseignements, du temps nécessaire au demandeur pour répondre […] et d’autres facteurs ».
Des retards aussi au Québec ?
Selon le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), le délai moyen de traitement du CSQ était d’environ un mois et demi (35 jours ouvrables) en date du 17 décembre dernier, un délai jugé raisonnable par les organismes et demandeurs d’asile.
Certaines personnes attendent toutefois depuis plusieurs mois ce précieux document pour postuler à l’étape finale du programme. C’est le cas de Naomi Kakenza, préposée aux bénéficiaires dans un CHSLD sur la Rive-Sud de la région de Montréal, qui attend depuis cinq mois son CSQ et celui de ses trois enfants. « À chaque fois que j’appelais, on me di[sai]t qu’il n’y a rien qui manqu[ait], mais que le dossier n’a pas encore été traité », soutient cette mère de famille d’origine congolaise. À la mi-janvier, le MIFI l’aurait informée qu’il avait été finalisé. Mais elle demeure prudente. « J’attends de l’avoir. »
Mme Kakenza dit ressentir une certaine frustration à voir que de nombreux collègues ont déjà leur carte de résident en poche. D’autant qu’elle a été l’une des premières à postuler au programme en janvier 2021, soit un mois après son ouverture officielle. « Je n’ai rien dans ce pays, ici. J’ai seulement le permis de travail et je travaille comme un robot sans repos depuis le début », dit cette mère de famille monoparentale qui dit avoir toujours travaillé depuis qu’elle a demandé l’asile au Canada en janvier 2018. « Je dois faire des quarts doubles presque tous les jours pour pouvoir me loger et nourrir mes enfants. »
Sans commenter les cas particuliers, le MIFI reconnaît que plusieurs demandes font actuellement l’objet « d’un délai d’examen plus long », parce qu’elles « ont nécessité un examen plus approfondi » ou ont requis « un complément d’information ».