Le Québec en force sur Bay Street

Le Québec a retrouvé ses lettres de noblesse, estiment des Québécois établis dans la communauté d’affaires de Toronto depuis quelques décennies. La reprise économique rapide de la province à la sortie de la crise sanitaire — la meilleure au pays selon une récente analyse de la Banque Scotia — couronne 20 ans de croissance, pour une économie qui n’a plus de complexe d’infériorité, selon Robert Hogue, économiste d’origine québécoise. « Il y avait une assez bonne impression [du Québec] au cours des dernières années sur Bay Street », relate ce diplômé de l’Université de Montréal qui travaille à la banque RBC et réside en Ontario depuis 30 ans.
Si des Québécois comme Robert Hogue avaient tendance à quitter le territoire dans les années 1980 et 1990 au profit de l’Ontario pour trouver un emploi, le mouvement s’est temporairement renversé cette année : les sorties nettes vers le Québec en provenance de l’Ontario ont atteint un record historique lors du deuxième trimestre de 2021, rapporte la Banque Scotia, signe d’une « bonne croissance économique », constate Simon Savard, économiste principal à l’Institut du Québec.
Il y a 30 ans, l’Ontario, qui représente une référence pour le gouvernement québécois dans sa quête d’une province plus prospère, avait un PIB par habitant 25 % plus élevé que celui du Québec. Aujourd’hui, l’écart ne s’élève qu’à environ 13 %. Et d’ici 2036, le ministre des Finances, Eric Girard, vise à tout simplement l’éliminer.
« Le départ d’Anglo-Montréalais et l’instabilité politique ont donné un coup à la vitalité économique du Québec pendant 35 ans. Mais chose certaine, le Québec a un super système d’éducation et, ultimement, des personnes intelligentes font bouger les choses, surtout quand le gouvernement équilibre les budgets et que la menace d’une séparation est presque inexistante », pense Rod Bell, un gestionnaire en immobilier d’origine montréalaise qui vit à Toronto depuis le milieu des années 1980.
La rapide reprise économique postpandémique du Québec pourrait être de courte durée, préviennent les membres de la communauté d’affaires de Toronto, mais certains indicateurs, tels que le prix de l’immobilier, pourraient aider le Québec à continuer à rattraper l’Ontario.
Déménagements avantageux
Même si le prix moyen d’une maison a grimpé à plus de 550 000 dollars dernièrement à Montréal, c’est encore bien loin du million, ou plus, déboursé en moyenne par les Torontois, et cela est « probablement appelé à perdurer dans les prochaines années », selon la Banque Scotia. Maintenant prépondérant, le télétravail permet aux Torontois de faire des économies en déménageant au Québec, tout en continuant à résider dans une métropole.
« Je suis propriétaire d’une maison pas très grande près du centre-ville, à Toronto. Si je voulais la vendre et déménager à Montréal, je pourrais m’acheter une maison complètement rénovée avec une vue sur la place Royale ou la montagne », illustre Derek Leebosh, un diplômé de l’école secondaire Westmount, parti dans la Ville Reine en 1980. « J’ai des amis montréalais qui pensent à la retraite et qui disent de plus en plus qu’ils reviendront à Montréal pour la prendre », explique celui qui est maintenant vice-président d’une firme d’étude d’opinion publique.
L’économie québécoise a bénéficié de l’absence de « la menace d’une séparation », pense le gestionnaire en immobilier Rod Bell. « On entend moins parler du contexte linguistique [à Toronto]. Je pense qu’avec le temps, si quelque chose devait se produire et que ça ne s’est pas produit, les gens se disent que les chances sont faibles », commente l’économiste Robert Hogue, au sujet de la question référendaire.
« Le monde de la finance à Toronto ne s’inquiète plus autant des politiques internes du Québec, comme c’était le cas dans les années 1970, 1980 et 1990, affirme Robert Hogue. Il se concentre beaucoup plus sur le progrès économique qui a été accompli au cours des deux dernières décennies et sur l’assainissement des finances de la province. »
« Dans les années 1980 et 1990, Montréal et le Québec étaient perçus comme vivant une dépression économique », se souvient Derek Leebosh. Le taux de chômage a d’ailleurs dépassé les 12 % durant cette période, avant de diminuer progressivement au fil des années, pour atteindre 5,7 % au mois d’octobre. Si l’hémorragie démographique du Québec au temps du « 101 ou 401 » (appui à la loi 101 ou départ en empruntant l’autoroute 401 vers Toronto), dans les années 1980 et 1990, était « d’ordre historique », la situation semble maintenant s’être rétablie.
Le monde de la finance à Toronto ne s’inquiète plus autant des politiques internes du Québec, comme c’était le cas dans les années 1970, 1980 et 1990.
Rigueur budgétaire
Les efforts se sont échelonnés sur plusieurs gouvernements, pensent trois Québécois membres de la communauté d’affaires de la Ville Reine. « Ça fait longtemps qu’on a commencé à semer des graines » pour ce rebond, affirme Dominic Mailloux, directeur des ressources humaines de Bombardier Aviation, arrivé à Toronto en 2013. L’équilibre budgétaire atteint par le Québec avant la pandémie a permis son rebond rapide et sa bonne situation économique.
Les mesures fiscales ont été « difficiles », convient Robert Hogue « mais ç’a quand même porté ses fruits », dit-il. « Ç’a été reconnu dans le milieu de l’investissement », relate l’économiste. L’écart du PIB par habitant est passé de 13,7 % en 2009 à 17,2 % en 2015. Le Québec a par la suite connu ses meilleures années de croissance en 2017, 2018 et 2019, explique l’économiste principal à l’Institut du Québec, Simon Savard, qui a analysé l’économie des deux provinces il y a deux ans dans le cadre du rapport Si la tendance se maintient…
Défis
Robert Hogue ne s’attend pas à ce que le Québec fasse mieux que sa province voisine en 2022. Les défis du Québec sont d’abord d’ordre démographique, selon Simon Savard. Présentement, 80 personnes de 20 à 29 ans entrent potentiellement sur le marché du travail, pour 100 autres de 55 à 64 ans partant potentiellement à la retraite, un faible taux, décrit l’économiste.
La province devra aussi augmenter sa productivité si elle veut réduire l’écart, note le ministre Girard dans son minibudget, où on mentionne l’Ontario à 150 reprises. La productivité s’est améliorée entre 2017 et 2019, mais « l’écart avec l’Ontario demeure considérable ».
« Ce sont des résultats sur une courte durée, il faudra voir l’impact du vieillissement de la population et de la pénurie de main-d’œuvre », analyse Dominic Mailloux, aussi président de la Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario. « Une hirondelle ne fait pas le printemps », dit-il.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.