Poursuite de 1,5 million après une plainte d’agression à McGill

Dénoncé comme un agresseur sexuel, un étudiant de l’Université McGill lance une poursuite de 1,5 million de dollars en affirmant que sa réputation a été « ternie de façon irréparable ». Il affirme avoir été victime d’irrégularités dans le processus mis en place par les associations étudiantes de l’établissement pour enquêter sur les violences sexuelles, en plus d’avoir subi une violation de confidentialité.

Declan McCool, étudiant à la Faculté des arts de l’établissement, vient de déposer une poursuite contre l’Université McGill, contre deux associations étudiantes et trois de leurs membres, contre le journal McGill Daily et trois de ses journalistes, et contre l’étudiante à l’origine de la dénonciation anonyme.

Selon la poursuite, Declan McCool a fait l’objet d’une plainte pour agression sexuelle de la part d’une étudiante de l’Université McGill à la suite d’une relation survenue durant la nuit du 25 février au 26 février 2020. Les faits se seraient produits dans un appartement privé situé hors du campus de McGill.

Après l’événement, la jeune femme a signalé à l’Association étudiante de la Faculté d’ingénierie (AEFI) qu’elle avait été agressée par l’étudiant. La sanction contre M. McCool à la suite de la dénonciation s’est retrouvée dans un article du journal étudiant McGill Daily.

« Le processus est censé être confidentiel, cependant, huit heures après avoir été avisé de la décision [de l’association], le McGill Daily a publié un article en ligne caractérisant McCool comme un prédateur sexuel. Ce fut le début d’une succession d’événements […] qui ont ruiné sa réputation », peut-on lire dans la poursuite, déposée le 5 novembre en Cour supérieure.

Declan McCool nie avoir commis une agression. « Les universités et les associations étudiantes doivent prendre conscience du pouvoir qu’elles exercent et de la capacité qu’elles ont d’endommager la vie d’une personne, surtout dans le contexte actuel du mouvement #MeToo », dit Me Felipe Morales, un des avocats de Declan McCool.

Le Devoir a contacté l’Université McGill, l’étudiante ayant fait la dénonciation, le McGill Daily et ses trois journalistes visés par la poursuite, l’Association étudiante de l’Université McGill et ses trois représentants poursuivis, ainsi que l’Association étudiante de la Faculté d’ingénierie pour commenter la poursuite. Tous ont décliné nos demandes d’entrevue.

La jeune femme ayant porté plainte pour agression, dont nous avons choisi de ne pas révéler l’identité, a toutefois publié un long texte sous pseudonyme dans le McGill Daily 12 jours après le premier article révélant la sanction prise contre McCool. Elle expliquait pourquoi elle s’était tournée vers une association étudiante pour signaler une agression.

« J’ai choisi cette voie car, en passant par la police ou par McGill, j’aurais dû entreprendre un long et pénible processus pour lequel je n’avais ni le temps, ni les ressources, ni l’énergie. J’aurais aussi dû renoncer à mon anonymat en allant à la police. J’aurais dû affronter des institutions qui réagissent mal depuis longtemps à des cas comme le mien », écrit-elle sous le nom de Sam.

L’anonymat garanti par le mécanisme de dénonciation mis en place par les associations étudiantes — ainsi que le protocole favorable aux personnes « survivantes » de violence sexuelle — lui a procuré un sentiment de sécurité, explique Sam. Elle craignait des représailles, parce que la personne qu’elle accusait d’agression était « très puissante et visible sur le campus ».

Au moment où il a fait l’objet du signalement pour agression sexuelle, Declan McCool venait d’être élu vice-président aux Affaires internes de l’Association étudiante de l’Université McGill (poste dont il a été déchu dans la foulée de la plainte).

Dans son texte du McGill Daily, l’étudiante se défend de lancer des accusations à la légère : « Pour moi, ce ne sont pas des allégations, elles sont tout à fait vraies. (Je le saurais ! J’étais là quand c’est arrivé.) Ce n’est pas de la fausse information. Je ne mens pas. Laisser entendre que je mens mène à une rhétorique très dangereuse, qui invalide les expériences d’autres personnes survivantes. »

Sam s’adresse aussi dans ce texte à celui qu’elle considère comme son agresseur : « Je suis certaine que tu dois considérer comme très injuste que ces allégations sortent au grand jour et viennent ruiner ta réputation. Mais comment je me sens, moi ? »

Dans la poursuite, le jeune homme soutient que sa dénonciatrice a brisé sciemment les règles de confidentialité du processus dans le but de « ruiner sa réputation ».

« Restriction de participation »

Pour une raison qui n’est pas précisée, la jeune femme a porté plainte pour agression sexuelle à l’Association étudiante de la Faculté d’ingénierie (AEFI) même si elle était inscrite à la Faculté des arts, tout comme Declan McCool. Aucune faculté ou association étudiante n’était impliquée dans la soirée au cours de laquelle l’agression présumée serait survenue.

Un comité d’enquête formé de quatre étudiants de la Faculté d’ingénierie a conclu en avril 2020 que la plainte d’agression sexuelle formulée contre McCool était fondée. Celui-ci s’est fait interdire de participer à des événements étudiants de l’Université McGill où il y a de l’alcool, pour éviter que sa présence « mette en péril le bien-être physique ou mental » d’autrui.

Cette procédure dite de « restriction de participation » a été mise en place en 2016 par l’Association étudiante de la Faculté d’ingénierie. La quasi-totalité des associations étudiantes de McGill se sont dotées d’un tel mécanisme de gestion des plaintes. Il vise à accueillir les dénonciations d’étudiants qui disent être victimes de la « conduite inappropriée » d’une autre personne, explique l’AEFI dans un document publié sur le Web.

Ce mécanisme ne vise pas à déclarer si une personne est « coupable » ou « innocente », précise le document de l’AEFI. Aussi, « le comité d’enquête n’a pas besoin d’une preuve absolue pour prendre la décision » de restreindre l’accès d’un étudiant aux événements de l’université. Il lui suffit de déterminer s’il est probable que l’événement se soit réellement produit.

Les universités et les associations étudiantes doivent prendre conscience du pouvoir qu’elles exercent
et de la capacité qu’elles ont d’endom-mager la
vie d’une personne

 

Me Felipe Morales

 

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Heurté par la sanction qui lui a été imposée, l’étudiant a porté sa cause en appel auprès de l’Association étudiante de la Faculté d’ingénierie. Celle-ci a chargé l’avocate Anaïs Lacroix de mener une enquête sur cette affaire. Ce n’est que dans le cadre de cet appel que Declan McCool a appris l’identité de la plaignante et les faits qu’elle lui reprochait. Me Lacroix a indiqué au Devoir qu’elle ne pouvait commenter le dossier pour des raisons déontologiques.

Selon la poursuite, les conclusions de l’enquêtrice Anaïs Lacroix, rendues le 27 août 2020, étaient favorables à Declan McCool. L’avocate aurait conclu que l’Association étudiante de la Faculté d’ingénierie n’avait pas l’autorité pour mener une enquête sur ces allégations de violence sexuelle ; que l’association étudiante a violé le droit de M. McCool à une défense pleine et entière, notamment en gardant confidentiels l’identité de la plaignante et les faits qu’elle reprochait à l’étudiant ; que l’homme et la femme avaient consenti librement à la relation sexuelle survenue cette nuit-là ; et que la probabilité que les faits se soient produits tels que décrits dans la plainte est inférieure à 51 %.

Un modèle américain

 

La procédure de signalement des violences sexuelles mise en place par les associations étudiantes de McGill s’inspire d’une politique née sur les campus américains, explique Rachel Chagnon, professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Ce processus américain, appelé Title IX, est contesté aux États-Unis parce qu’il « donne beaucoup de pouvoir aux victimes », rappelle la spécialiste du traitement des plaintes pour violences sexuelles en enseignement supérieur. La politique américaine Title IX prévoit « qu’on respecte de façon absolue la confidentialité de la plaignante ou du plaignant, et que la personne mise en cause n’a pas accès à l’ensemble de la preuve », notamment.

Le régime de droit américain est tout à fait différent de celui d’ici, où les chartes canadienne et québécoise défendent les droits et libertés de la personne, souligne Rachel Chagnon. « Je ne suis pas certaine que ce modèle-là s’importe si facilement au Canada », dit-elle.

La professeure dit comprendre la méfiance des étudiants et des étudiantes envers les procédures d’examen des plaintes pour violences sexuelles mises en place par les universités — distinctes des mesures offertes par les associations étudiantes. « Je comprends que les assos étudiantes soient frileuses par rapport aux procédés qui ont été mis en place par les universités, dit-elle. Ils ne sont pas parfaits, ces procédés-là, même si la politique de McGill est une des meilleures dans le réseau universitaire. Mais est-ce que de créer une justice parallèle [par les associations étudiantes] va résoudre le problème ? C’est plus une question, je n’ai pas de réponse à vous donner là-dessus. »

Pour être efficace, une procédure de traitement des plaintes doit être irréprochable, fait valoir la professeure de droit. Les associations étudiantes peuvent édicter les conditions d’admission ou d’exclusion de leurs membres. Elles ont toutefois l’obligation de respecter les droits des personnes faisant l’objet de plaintes, souligne Rachel Chagnon. Elles doivent « agir à l’intérieur de leur cadre légal. Elles ont cette juridiction-là à l’égard de leurs membres, pas à l’égard de membres d’autres associations », selon elle.

« Si on discrédite les processus, on va nuire à la capacité des victimes de pouvoir porter plainte à l’avenir. C’est ma grosse préoccupation », ajoute-t-elle.

Un « agresseur » et un « client »

Les plaintes d’étudiants visant d’autres étudiants sont les plus délicates à gérer pour les universités, souligne Rachel Chagnon. La Loi sur les normes du travail encadre de façon claire les droits et responsabilités des établissements et de leur personnel, mais ce n’est pas le cas pour les étudiants.

« Pour employer un mot que personne n’aime dans les universités, qui correspond à notre réalité néolibérale, l’étudiant agresseur est aussi un client de l’université. C’est quelqu’un qui paye pour obtenir un service. […] Les contentieux universitaires se sont mis à devenir de plus en plus frileux par rapport à comment on doit gérer les cas problématiques pour ne pas se retrouver exactement là où McGill se trouve, avec un étudiant condamné, pas content, qui se retourne contre l’institution », dit-elle.

« Si l’Université décide d’ouvrir la voie à la négociation, ça va se faire un petit peu sur le dos de l’étudiante victime. Il y a quand même le risque que l’Université ait une autre lecture des sanctions qu’on doit appliquer à l’étudiant, ait une autre lecture de ce qui est arrivé, et peut-être que l’étudiante va se retrouver dans une position où elle ne sera pas très satisfaite du résultat final », précise Rachel Chagnon.

Dommages à la réputation

Declan McCool réclame 1,5 million de dollars pour les dommages à sa réputation causés par cette histoire. « Nous sommes certains que ce jeune homme aura d’énormes difficultés à gagner sa vie. Il a été traité à tort, et de façon illégale, de prédateur sexuel », dit Me Felipe Morales, avocat de l’étudiant.

Il a notamment été déchu de son poste de vice-président aux Affaires internes de l’Association étudiante de l’Université McGill, qui était rémunéré 35 500 $ par année. Trois membres de l’exécutif de l’AEUM sont aussi poursuivis pour avoir publié une dénonciation de Declan McCool dans le McGill Daily.

L’étudiant soutient que l’Université a échoué à protéger ses droits en refusant d’intervenir pour casser la décision de l’AEFI. Selon la poursuite, l’Université a fait valoir qu’elle ne peut intervenir dans la gestion des associations étudiantes, qui sont entièrement autonomes en vertu d’une loi québécoise.

Declan McCool affirme aussi avoir été ostracisé par l’entraîneur du club d’aviron de l’établissement, dont il faisait partie. Selon son avocat, le jeune homme envisage de continuer ses études à l’extérieur du Québec.

Il soutient aussi que le journal étudiant McGill Daily a publié un article diffamatoire l’ayant décrit comme un délinquant sexuel, ainsi qu’une lettre anonyme de dénonciation contre lui, sans lui offrir un droit de réponse et sans se rétracter après la décision en appel en sa faveur.

Un fléau à endiguer sur les campus

Les violences sexuelles sont un fléau sur les campus, avait conclu en mai 2016 une enquête menée par des chercheuses dans six universités au Québec. Une personne sur trois disait avoir été victime de violence sexuelle depuis son arrivée à l’université. Et « la très forte majorité » de ces actes n’ont jamais été dénoncés. Pas moins de 8733 personnes qui travaillaient ou étudiaient dans l’un des six campus visés par le projet avaient participé à l’enquête dirigée par Manon Bergeron, professeure au Département de sexologie à l’UQAM. Tous les cégeps et universités du Québec doivent être dotés depuis le 1er janvier 2019 d’une politique visant à prévenir et à combattre les violences sexuelles. Cette obligation découle du projet de loi 151, adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en décembre 2017. Chaque établissement d’enseignement postsecondaire du Québec doit notamment avoir mis en place un bureau voué à accueillir les plaintes et à mener des enquêtes au sujet des violences à caractère sexuel. La loi prévoit aussi une formation annuelle obligatoire pour les dirigeants, les membres du personnel et les représentants de leurs associations et syndicats, ainsi que pour les associations étudiantes. Les associations étudiantes de l’Université McGill ont mis en place leur propre mécanisme de signalement et d’enquête, qui s’ajoute à celui de l’établissement.


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