Les «superinfirmières» en manque de stages

À l’heure actuelle, on recense 573 infirmières praticiennes spécialisées (IPS) au Québec, mais le gouvernement s’est donné pour objectif d’en avoir 2000 en 2024-2025.
Photo: iStock À l’heure actuelle, on recense 573 infirmières praticiennes spécialisées (IPS) au Québec, mais le gouvernement s’est donné pour objectif d’en avoir 2000 en 2024-2025.

Pressées par le gouvernement de former de plus en plus d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS), les universités se heurtent à différents obstacles quand vient le temps de leur offrir des stages en milieu de travail.

« Il est clair que pour la première ligne, on ne peut pas prendre tous les étudiants qui se qualifient », a expliqué au Devoir Caroline Larue, vice-doyenne aux études supérieures de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal (UdeM).

L’automne dernier, la Faculté a dû contingenter le programme de première ligne et refuser des étudiants. Après en avoir accueilli 30 en 2018, elle a limité leur nombre à 23, faute de places de stage en nombre suffisant.

La difficulté à trouver des stages découle de deux principaux problèmes, selon la vice-doyenne.

D’une part, le développement de la profession est si rapide qu’on manque d’IPS dans le réseau pour former les nouvelles. « Quand il y a deux IPS par groupe de médecine familiale (GMF), que l’une est en maladie ou en congé de maternité et que l’autre vient de terminer sa formation, on ne peut pas lui confier la responsabilité d’encadrer une étudiante. Évidemment, on cherche des milieux qui ont une expérience d’enseignement. »

573
C’est le nombre d’infirmières praticiennes spécialisées qui pratiquent au Québec en ce moment. Le gouvernement veut porter leur nombre à 2000 d’ici cinq ans.

D’autre part, plusieurs groupes de médecine familiale sont réticents à libérer des locaux pour les stagiaires. « Le problème de locaux, il est franchement criant », souligne Mme Larue.

Les IPS en première ligne, dit-elle, ont besoin d’un bureau pour rencontrer les patients et les évaluer. Or ces locaux sont très convoités.

« Un local occupé par un médecin, c’est un local qui est payant. Quand on installe une IPS dans un local, si un médecin lève la main pour travailler là, notre stagiaire va se retrouver dans le corridor ».

« Je ne veux surtout pas laisser entendre qu’il n’y a pas de collaboration », précise toutefois la vice-doyenne. « Tout le monde travaille à essayer de dénouer toutes sortes de noeuds mais ça c’en est des majeurs ».

Avec 119 inscriptions cette année, l’UdeM offre l’un des plus gros programmes de formation d’IPS au Québec avec des programmes en première ligne, en soins aux adultes et en santé mentale. Le programme à temps plein se déploie sur deux ans avec un stage chaque année, mais certaines étudiantes le font à temps partiel en trois ans.

L’augmentation du nombre d’IPS est une priorité de la ministre de la Santé Danielle McCann qui compte sur elles pour réduire l’attente des patients en première ligne. À l’heure actuelle, on en recense 573 au Québec, mais le gouvernement s’est donné pour objectif d’en avoir 2000 en 2024-2025.

Par ailleurs, la quête de stages n’est pas seulement laborieuse à Montréal. « On peine à placer [les étudiantes] », raconte Sophie Longpré, directrice du comité des programmes IPS à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Bon an mal an, l’UQTR accueille 30 étudiantes dans son programme. Le ministère de la Santé souhaiterait qu’elle en forme un peu plus, mais ce ne serait pas possible, selon Mme Longpré. « On ne pourrait pas en prendre plus pour l’instant. »

Pour atteindre la cible de 2000 IPS en 2024-25, le ministère de la Santé a donné aux universités des cibles quant au nombre d’étudiantes. À l’UdeM, la cible est de 60 étudiantes cette année ; à l’UQTR, c’est 34. Ainsi, à Trois-Rivières, on n’atteint pas la cible alors qu’à l’UdeM, la cible est atteinte, mais un plus grand nombre de stages disponibles permettrait de la dépasser.

Or dans les deux cas, les stages sont en cause. À Trois-Rivières aussi, l’accès à des locaux dans les GMF pose problème. « Les GMF, vous savez, ce sont des cliniques privées. Quand on place une étudiante, c’est pour six mois à temps plein. Ce qu’on nous dit, c’est qu’il n’y a pas de bureau de libre pour ça et que si un espace se libère, ça risque plutôt d’être utilisé par un médecin qui paye son loyer. C’est plus rentable », signale Mme Longpré.

Dans certains cas, l’Université surmonte le problème en trouvant des stages à l’extérieur de la région. « Heureusement, certaines étudiantes proviennent de l’extérieur de la Mauricie, donc elles peuvent trouver des stages ailleurs. »

D’emblée, là également, on manque d’IPS… pour former des IPS. « Il n’y en a pas beaucoup de formées et souvent ce sont de jeunes femmes. Certaines vont partir en congé de maternité et il n’y a pas encore de personnel pour les remplacer. »

La recherche de stages est également laborieuse à l’Université Laval (UL). Or dans ce cas, la Faculté des sciences infirmières est parvenue à surmonter le problème, explique la doyenne, Mireille Lavoie. « Ce n’est pas toujours facile mais on a réussi à le gérer », dit-elle en soulignant que c’est possible parce que les inscriptions n’augmentent pas trop vite mais « graduellement ».

Le programme de l’UL accueille entre 10 et 20 étudiantes supplémentaires par année en première ligne et en soins aux adultes. Or selon Mme Lavoie, la recherche de stage est laborieuse aussi en soins aux adultes, un nouveau programme qui se déploie en milieu hospitalier.

Dans ce cas-ci encore plus qu’en première ligne, « le bassin de superviseures IPS n’est peut-être pas suffisant pour encadrer les stagiaires », dit-elle. « Actuellement, elles sont supervisées davantage par des médecins que par des IPS et progressivement, nos étudiantes vont pouvoir être davantage supervisées par des IPS ».

Mme Lavoie mentionne aussi qu’il y a un « enjeu de locaux » du côté des stages de première ligne mais n’est pas en mesure d’en nommer les causes. Dans l’ensemble, son équipe n’a pas eu à reporter de stages « mais c’est sûr que ça nous a demandé un peu plus de démarches », poursuit-elle. Ainsi, certaines étudiantes ont obtenu des stages aux Etchemins à 120 kilomètres de Québec.

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