Friction entre néo-ruraux et «locaux» dans la région d’Owl’s Head

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les flancs presque nus du mont Owl’s Head ne le resteront peut-être plus longtemps. L’aspirant maire de Potton, Jacques Marcoux (sur la photo), plaide pour un développement «contrôlé» de la montagne.

Dans les Cantons-de-l’Est, les candidats à la mairie veulent convaincre leurs électeurs, mais surtout en charmer de nouveaux. À Potton et à Austin, deux villages où cohabitent résidants de longue date et villégiateurs, on cherche comment attirer de nouveaux habitants sans dévisager le paysage. Entre essor économique et préservation de l’environnement, le coeur des politiciens balance.

De toute évidence, Lucie Maurer et son conjoint adorent les sports de glisse. Devant leur résidence construite aux abords d’une des pistes du mont Owl’s Head, des bottes de ski servent de pots à fleurs. Ils habitent cette jolie maison depuis 2005 et, contrairement à la plupart de leurs voisins, ils y demeurent toute l’année.

« C’est notre refuge de paix », explique Mme Maurer en regardant autour d’elle : les arbres aux feuilles écarlates d’un côté, le lac Memphrémagog au reflet bleuté de l’autre. « Peut-être que ce sera moins paisible bientôt. »

Comme la plupart des habitants de Potton, cette petite municipalité de 1800 âmes, dont le territoire comprend le mont Owl’s Head, cette dame au sourire facile se demande quelle forme prendra ce grand projet de 200 millions de dollars ébruité dans les médias locaux au cours de l’été.

Gilles Bélanger, un entrepreneur bien connu dans la région, a l’intention d’acquérir la station de ski et d’investir massivement au cours des douze prochaines années pour rénover les installations existantes et développer l’offre d’hébergement. Il pourrait ajouter quelque 500 condos et jusqu’à 200 chambres d’hôtel supplémentaires pour permettre aux villégiateurs de profiter à la fois de la montagne et du lac.

Ça va amener des emplois. On ne veut pas être un Bromont ou un Tremblant. On veut être Potton. On veut rester dans la nature.  

 

Dynamiser le village

Le promoteur soutient que ce projet, qui devrait être officiellement dévoilé au cours des prochains mois, créera 150 emplois permanents et se fera dans le respect de l’environnement.

De la musique aux oreilles du maire sortant de Potton, Louis Pierre Veillon. « Ça va amener des emplois, dit-il. On ne veut pas être un Bromont ou un Tremblant. On veut être Potton. On veut rester dans la nature. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le maire sortant de Potton, Louis Pierre Veillon, appuie entièrement le projet de Gilles Bélanger. En 2013, il a remporté l'élection par seulement 10 votes face à Jacques Marcoux.

« Tout ce que ce projet peut faire, c’est améliorer le village de Potton, pour donner des services aux habitants et aux visiteurs », ajoute-t-il en donnant l’exemple de cette nouvelle pharmacie qui vient d’ouvrir ses portes près de l’hôtel de ville. « Avant, les gens commandaient leurs médicaments par téléphone de Knowlton ou Magog. »

Son adversaire en vue de l’élection du 5 novembre, l’ancien maire de Potton Jacques Marcoux, n’est pas contre le projet immobilier sur le mont Owl’s Head, mais il veut s’assurer que le développement se fera de manière « contrôlée ».

« Je pense que le développement du mont Owl’s Head doit être un projet à long terme qui doit se réaliser par étapes. La population aura son mot à dire », affirme-t-il.

« Les gens voient d’un bon oeil l’évolution future du mont Owl’s Head, mais ils ne voient pas d’un bon oeil la possibilité de se retrouver tout d’un coup avec 500 condos et tout ce qui vient avec. »

Il y a toujours une dichotomie entre les citoyens de souche et les autres. Les valeurs ne sont pas nécessairement les mêmes. 

 

Plus de villégiateurs

Au sein de la population, il y a effectivement ceux qui pensent, comme Lucie Maurer, qu’il faut éviter de développer la montagne trop rapidement et ceux qui s’accrochent à l’argument économique. « On prend toutes les jobs qui passent », lance Kyle Cody, un jeune homme dans la vingtaine rencontré devant le magasin général, avant qu’il ne remonte dans le camion de la compagnie d’excavation pour laquelle il travaille.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Kyle Cody travaille pour une compagnie d'excavation de Potton, où il est né. Il croit que le projet immobilier donnera du travail à des employés comme lui.

Appuyer le projet, c’est dire oui aux emplois et aux nouveaux revenus tirés de l’impôt foncier, mais c’est aussi accélérer le changement démographique en cours depuis quelques années à Potton.

Entre 2011 et 2016, la population totale de la municipalité n’a augmenté que de trois personnes. Le nombre de logements occupés par des résidants permanents est resté pratiquement inchangé (+2,5 %), tandis que ceux détenus par des villégiateurs ont cru de 33 %.

33%
Augmentation du nombre de villégiateurs

« Il y a toujours une dichotomie entre les citoyens de souche et les autres. Les valeurs ne sont pas nécessairement les mêmes », observe Jacques Marcoux. Mais comme son adversaire, il croit qu’il est possible de gérer la ville en tenant compte des priorités de chacun.

« Il y a deux factions. Les résidants et les villégiateurs, résume Louis Pierre Veillon. Il faut apprendre à faire du bon voisinage. »

Le cas d’Austin

À Austin, quelques kilomètres au nord de Potton, l’attraction de nouveaux citoyens et l’aménagement du territoire animent également les discussions. L’ancien journaliste Michel Morin tente de déloger la mairesse sortante, Lisette Maillé, en dénonçant notamment un plan d’aménagement qui abaisse la superficie minimale des terrains sur lesquels pourront être bâties de nouvelles maisons. Un plan, selon lui, qui aura pour effet d’attirer les promoteurs.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La mairesse sortante d'Austin, Lisette Maillé, soutient que le débat entourant le Plan d'aménagement d'ensemble est une tempête dans un verre d'eau.

Le Plan d’aménagement d’ensemble (PAE), entré en vigueur il y a un an, définit comment la municipalité développera le cinquième de ton territoire, qui est toujours intact. Il autorise la construction de nouvelles habitations sur des terrains d’une superficie minimale de 3000 m2, plutôt que 8000 m2 comme c’était le cas auparavant.

L’objectif annoncé est de protéger l’environnement en laissant 60 % de l’ensemble des zones concernées à l’état naturel et de rapprocher les habitations d’une route commune pour faciliter l’accès aux services.

« L’idée, c’est d’arrêter de faire de grands terrains et des chemins partout pour desservir des gens qui sont trop loin dans la forêt », explique Mme Maillé.

« Il ne faut pas importer la ville à la campagne », rétorque M. Morin, qui nous reçoit dans sa propriété bordée d’arbres. S’exprimant avec la verve qu’on lui connaît, il répète que la municipalité de Sainte-Catherine-de-Hatley a déjà tenté l’expérience du PAE à 3000 m2 et que le résultat est une « catastrophe ».

« C’est un développement qui coûte moins cher pour la municipalité comme pour les promoteurs, juge-t-il. Les promoteurs vont en mettre plus dans leurs poches, sans aucun doute. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L'ancien journaliste Michel Morin montre les zones touchées par le PAE. Il a mis sur pied l'Équipe des contribuables d'Austin en vue de l'élection du 5 novembre.

Modèles différents

 

Michel Morin dit qu’il n’est pas contre cette nouvelle mesure, mais il souhaiterait que la superficie minimale soit établie à 6000 m2 ou plus.

« Selon M. Morin, il faudrait se cantonner dans l’ancien modèle, alors qu’on sait qu’il ne fonctionne pas », réplique Mme Maillé, visiblement irritée par l’insistance de son adversaire, qu’elle accuse de faire de la désinformation dans plusieurs dossiers.

« Notre population est vieillissante, donc, oui, nous voulons attirer de jeunes familles, admet-elle. Mais est-ce qu’on se lance dans une grande opération charme pour les attirer ? Non. »

« M. Morin a toujours allégué qu’on déroulait le tapis rouge aux promoteurs avec le PAE, mais [depuis un an], nous n’avons reçu aucune demande de développement. »
 

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