Les artistes semblent avoir choisi leur camp électoral

Le chanteur Émile Bilodeau affiche fièrement être un solidaire.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Le chanteur Émile Bilodeau affiche fièrement être un solidaire.

La Coalition avenir Québec (CAQ) a beau récolter près de la moitié des intentions de vote chez les francophones, le parti de François Legault ne semble pas à première vue séduire les artistes, qui préfèrent souvent soutenir publiquement Québec solidaire, parfois le Parti québécois. Toujours est-il que la plupart des personnalités publiques optent pour la discrétion depuis le début de cette campagne électorale. Y aurait-il dans le lot des caquistes dans le placard ?

Professeure de communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Mireille Lalancette ne s’étonne pas que peu d’artistes connus osent afficher explicitement leur appui à un parti, et encore moins à la CAQ. « Les artistes ont toujours eu plus tendance à être attirés par des valeurs sociales progressistes. C’est pour ça qu’à l’époque, plusieurs appuyaient ouvertement le Parti québécois, qui défendait ces idées-là, et c’est pour ça qu’aujourd’hui, beaucoup [d’entre eux] soutiennent Québec solidaire. On voit la même chose aux États-Unis, où la plupart des artistes sont derrière le Parti démocrate. »

Au sud de la frontière, rares sont les artistes qui ne prennent pas position lors des campagnes présidentielles. Règle générale, Hollywood fait front pour les candidats démocrates, qui aiment toujours s’entourer des Beyoncé, Jon Bon Jovi et Bruce Springsteen de ce monde dans leurs rassemblements politiques.

En France, le portrait est plus éclaté. On trouve des artistes connus pour appuyer l’extrême gauche, la gauche, le président Macron et même la droite traditionnelle. Seul l’appui à l’extrême droite semble encore interdit dans le microcosme parisien. Les « peoples », comme on dit outre-Atlantique, sont constamment appelés à se mouiller sur les plateaux de télévision, et les plus engagés n’hésitent pas à participer aux grands rassemblements partisans de leur candidat.

Rien de tel au Québec, où les vedettes grand public font profil bas sur leurs opinions politiques. Pour qui votent Véronique Cloutier, Ginette Reno ou encore Charles Lafortune ? Bien malin celui qui peut le dire.

« On a une tradition politique qui est complètement différente de celle de la France ou de celle des États-Unis. On aime beaucoup moins l’opposition ici. Et il ne faut pas oublier qu’on est un petit marché. Les artistes ne peuvent pas courir le risque de perdre des contrats en donnant leur opinion. […] Aux États-Unis, en plus, les démocrates comptent beaucoup sur les artistes pour le financement. Pas ici, comme une partie du financement est publique et que les artistes moyens ne sont pas des grandes fortunes », souligne la professeure Lalancette, qui croit que le fait que la CAQ ne jouisse pas de l’appui du monde du spectacle n’est pas dramatique.

L’influence des créateurs

Questionnée par Le Devoir, la formation politique n’a pas été mesure de nommer un seul artiste connu qui l’appuie ouvertement. « Le choix électoral des artistes leur appartient », soutient-on à la CAQ.

C’est tout l’inverse à Québec solidaire, où les artistes représentent même un volet important de la stratégie de communication électorale. Klô Pelgag, Clay and Friends, Valence ou encore Fanny Bloom ont tous été les têtes d’affiche de rassemblements solidaires dans les derniers mois. « Il y a sûrement des gens qui étaient curieux des idées du parti, mais qui sont surtout venus pour voir leur artiste préféré. Ça nous permet d’atteindre un nouveau public », souffle une source interne qui a demandé l’anonymat en raison du sujet abordé.

Mais en s’associant de la sorte à des artistes souvent jeunes et un peu champ gauche, la formation ne donne-t-elle pas de l’eau au moulin à ses détracteurs qui tentent de la cantonner au Plateau-Mont-Royal ?

Le chanteur Émile Bilodeau, soutien de la première heure de Québec solidaire, a la conviction au contraire que les artistes peuvent interpeller les électeurs en région, de tous les milieux. « Il y a une méchante différence entre un artiste québécois qui fait des tournées en Abitibi et une vedette américaine qui est enfermée dans un studio en Californie. Nous, on est vraiment sur le terrain. Je fais des ateliers d’écriture sur la Côte-Nord, à Charlevoix, mais aussi à Montréal-Nord, où il y a des professeures voilées qui font un excellent travail. Ça me permet ensuite, quand je vais à Québec ou à Chicoutimi, de dire que la “loi 21” n’est pas une bonne loi », explique l’auteur-compositeur-interprète de 26 ans, qui ne croit d’ailleurs pas que ses prises de position politiques nuisent à sa carrière musicale. Lorsqu’il fait du porte-à-porte pour Québec solidaire, Émile Bilodeau remarque plutôt que son statut de vedette lui fait souvent jouir d’une oreille attentive.

Pourtant très engagée, la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette doute pour sa part de l’influence politique des artistes. Le recours à des personnalités publiques peut rapidement être une arme à double tranchant, fait-elle remarquer. « C’est délicat. Les artistes ne doivent pas perdre de vue qu’ils ne sont que le relais des scientifiques, des médecins, des agriculteurs. Si on l’oublie, on peut rapidement avoir l’air d’être au-dessus des autres et de faire la morale aux gens », ajoute l’autrice du livre à succès La femme qui fuit.

Durant la présente campagne électorale, elle a choisi de se consacrer à l’initiative Mères au front, qui milite pour une prise de conscience de l’urgence climatique, plutôt que d’appuyer ouvertement un parti politique.

Des exceptions à la règle

Nombre d’artistes hésitent d’ailleurs à se prononcer aujourd’hui pour l’un ou l’autre des partis, préférant s’investir dans une cause qui leur tient à coeur — l’écologie, le féminisme, la diversité. Toutes des causes plutôt marquées à gauche.

Aux dernières nouvelles, il n’y a pas encore eu de spectacle-bénéfice pour le troisième lien ou pour la résurrection du projet GNL Québec. Quelques membres de la colonie artistique font toutefois bande à part, à commencer par la comédienne Anne Casabonne, candidate vedette du Parti conservateur du Québec dans Iberville.

L’humoriste Mathieu Gratton a aussi causé la surprise en annonçant sa candidature pour le Parti libéral du Québec dans Laporte après avoir flirté avec la CAQ. D’autant qu’il ne cache pas avoir été longtemps souverainiste, avouant même n’avoir jamais voté pour le Parti libéral. « Je pense que c’est encore tabou pour un artiste de ne pas voter pour le Parti québécois ou pour Québec solidaire. Juste dans ma circonscription, deux personnalités connues m’ont confié qu’elles allaient voter pour moi, mais elles ne le diront jamais publiquement », souligne le candidat libéral, qui ne croit pas pour autant que sa carrière d’humoriste va pâtir de son saut en politique s’il n’est pas élu le 3 octobre.

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