Ma Brasserie: un retour en salle réussi

Près de deux semaines se sont écoulées depuis la reprise des activités dans les salles à manger de la métropole. Alors que le personnel en salle continue de peaufiner ses nouveaux pas de danse, une sortie en mode distanciation s’imposait.
Ma Brasserie, située dans le quartier Rosemont, soufflera cet automne ses cinq bougies. La réputation de la bonne bière qui y coule à flots n’est plus à faire. Terrasse et salon de dégustation peuvent en temps normal accueillir près de 300 convives. Un peu moins de 200, en ces temps nouveaux.
Dans la petite boutique à l’avant, il est possible de se procurer de la bière en canettes et quelques victuailles à emporter. « C’est ce qui nous a sauvés pendant le confinement, me dit Martine Lafontaine, cofondatrice de la coopérative de solidarité brassicole. On a pu se concentrer sur notre production de bière malgré une équipe très réduite. »
Au bout du fil, elle m’explique les différents enjeux que l’entreprise a dû surmonter au cours des derniers mois, mais aussi des dernières années. Peu avant la crise, le conseil administratif avait pris la décision de bonifier l’offre de nourriture, jusque-là plutôt banale. Des rénovations majeures venaient tout juste d’être apportées à la cuisine en vue d’accueillir le nouveau chef. « On avait envie de proposer quelque chose de différent, de ne pas s’arrêter à ce qu’on sert normalement dans les microbrasseries », précise la jeune femme.
En poste depuis le début du mois de mars, Bertrand Giguère, ancien chef du restaurant Mélisse, n’a pas eu le temps de compléter sa nouvelle brigade avant que la crise éclate. Depuis la réouverture, il cumule d’innombrables heures de plancher, mais peut enfin profiter d’une cuisine fraîchement rénovée pour proposer un menu plus élaboré.
Très enthousiastes à l’idée de découvrir son menu plus raffiné, nous nous rendons donc sur place en cette veille de fête du Canada. À notre arrivée, l’endroit est bondé autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Une petite file d’attente bien ordonnée s’est même créée, il faudra patienter. Les tables sont à bonne distance et les consignes pour assurer une bonne circulation sont clairement indiquées, sans être alarmantes. Le personnel, courtois, est en contrôle. L’expérience est somme toute plutôt agréable — et presque normale.
Un serveur vient rapidement s’enquérir de nos envies. Sa visière, légèrement embuée par la chaleur accablante, laisse malgré tout paraître un sourire franc. Il faudra être plus attentives à ses interventions : parler dans un scaphandre au milieu d’un restaurant bruyant ne semble pas être de tout repos. Dans l’ébullition du moment, nous commandons quelques plats de trop, défiant les sages conseils de notre serveur.
Un peu surprises de voir tous les plats arriver en même temps, nous réalisons ne pas avoir précisé que nous aurions préféré recevoir notre repas en plusieurs services. Ce qui ne nous a pas été proposé du reste, mais ce n’est pas forcément le style de service de la maison non plus. Les bouchées se succéderont donc dans un désordre total, alors que nous vacillerons d’une assiette à l’autre sans la moindre discipline. Ce n’est pas plus mal.
Des amis véganes passant par-là n’ont que d’éloges pour cette guédille au cœur de palmier, qu’ils aperçoivent en jetant un coup d’œil à notre table bien garnie. Le sandwich nous ravira tout autant. Belle idée. Le beignet de boudin bien croustillant est un régal, mais c’est la purée de racines de persil parfaitement soyeuse qui nous renversera. La petite salade craquante de pommes et de fenouil assure la fraîcheur. Sans être bien original, cet accompagnement fait ses preuves.
Les épices du gravlax de bœuf style pho (cannelle, cardamome, anis étoilé, clou de girofle et graines de coriandre) sont bien dosées, la viande fond dans la bouche. Quelques asperges et graines de moutarde marinées dispersées sur le dessus agrémentent le tout. Simple et précis. D’une simplicité désarmante, les généreuses tranches de halloumi grillées à point nous séduisent. La marinade d’ail rôti, de marjolaine et de citron atténue le côté très salé du fromage pendant que les rapinis, cuits à point, apportent l’amertume nécessaire à l’équilibre du plat.
Une attention particulière est prêtée à la chaîne sanitaire. Les serveurs apportent les menus désinfectés et les consommations aux clients, mais c’est le busboy qui s’occupe de desservir les tables. Ces petits détails rassurent.
Une cuisine intelligente qui ne lésine pas sur la qualité. Une équipe persévérante qui sait s’ajuster. Impossible de ne pas faire l’éloge d’une visite si réussie. L’univers de la microbrasserie montréalaise ne semble pas vouloir cesser de nous surprendre. Manifestement, les gens étaient heureux en cette belle soirée d’été. Et nous aussi.