Penchant naturel

Avez-vous déjà enlacé un arbre ? Passé un long moment assis à regarder frissonner les feuilles d’un tremble ? Vous êtes-vous déjà arrêté en chemin pour écouter le chant d’un cours d’eau ? Avouez-le : vous avez sûrement déjà vécu l’extase de vous trouver devant un paysage renversant. Et cela vous a plongé dans une sorte de béatitude. Un sourire s’est affiché sur vos lèvres. Rien qu’à y repenser, voilà que ce sourire vous revient.
Un lien à restaurer
Cet effet qu’exerce la nature sur notre état profond fait l’objet de nombreuses études, ici comme ailleurs. Pourtant, nous avons collectivement laissé s’effriter le temps que nous passons à jouer dehors. Sous l’effet de l’urbanisation galopante, des heures passées dans les transports et de la multiplication des écrans dans nos vies, ce lien à la nature s’est progressivement distendu. Chez beaucoup de jeunes citadins, ce lien n’a même jamais existé. Les conséquences sur leur santé tant physique que mentale sont aujourd’hui clairement attestées par la science.
Il y a 15 ans, ce phénomène de déconnexion des enfants à la nature était diagnostiqué en syndrome : le Nature-Deficit Disorder (le syndrome de manque de nature) par un certain Richard Louv, auteur de Last Child in the Woods : Saving Our Children From Nature-Deficit Disorder (Algonquin Books, 2005). Dans cette enquête, le journaliste américain citait de nombreuses études reliant ce manque de nature à l’hyperactivité et au TDAH, à la dépression, au surpoids, à l’hypertension, mais aussi au retard d’habiletés motrices et d’aptitudes sociales. Depuis lors, les études sur la question n’ont pas cessé d’affluer et l’expression « Déficit nature » est passée dans le langage courant.
Tout naturellement, de nombreux organismes environnementaux se sont penchés sur le sujet, comme Nature Québec qui lançait, en 2018, le projet expérimental « Marguerite, entre ville et nature », une sorte de classe verte où les élèves de l’école Marguerite-Bourgeoys étudiaient la biodiversité hors des murs de la classe, en milieu naturel. Trois ans plus tôt, la Fondation David Suzuki créait les Journées de la nature. Trois journées durant lesquelles petits et grands sont amenés à replacer la nature au centre de leur vie avec diverses activités totalement gratuites.
Depuis 2016, c’est le Regroupement national des Conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) qui a repris les rênes des Journées de la nature, qui ont lieu chaque année au printemps.
« Cette année, du 22 au 26 mai, chacun est invité à organiser une activité ou à se joindre à un événement qui aide à développer un lien affectif à la nature, explique Charles Bergeron, coordonnateur des Journées de la nature. Ces Journées représentent l’occasion de se rappeler combien il est agréable de reprendre contact. »
Qu’importe la manière qu’on choisit pour retisser ce lien — randonnée, pique-nique, observation des animaux, cueillette de champignons, descente en canot, yoga extérieur —, l’essentiel étant de prendre conscience de l’importance de protéger le milieu naturel, source d’apaisement et de bien-être. Et l’invitation est lancée à tous : citoyens, institutions touristiques, organismes de conservation, collectivités locales, entreprises, clubs et regroupements sportifs.
La plateforme Web du RNCREQ propose à cet égard un grand nombre d’activités libres d’accès et convie tout un chacun à entamer, en privé, un projet de rapprochement à la nature. À l’instar des Journées de la culture, qui ont su s’implanter dans nos habitudes, ces Journées de la nature pourraient devenir le rendez-vous annuel d’une prise de conscience environnementale collective.
Arme de protection massive
« Comprendre la nature est la meilleure arme d’adaptation et de lutte contre les changements climatiques », poursuit Vincent Moreau, directeur général du RNCREQ. Pas surprenant alors que ces Journées de la nature soient directement reliées aux Conseils régionaux de l’environnement, qui travaillent depuis des décennies (le premier CRE a été créé en 1973 dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean !) sur des projets de conservation et de reverdissement dans toutes les régions du Québec.
Protection des milieux humides ou des zones naturelles, reboisement ou rétablissement d’îlots de verdure : les CRE travaillent en concertation avec huit ministères et de nombreux acteurs politiques locaux et régionaux. Pour le Regroupement, cet appel à se rapprocher d’un bois, d’un lac, d’une rivière ou d’un parc urbain durant ces trois jours est aussi une manière d’« amener la nature en ville, selon Vincent Moreau, et d’établir une connectivité écologique à grande échelle ».
On ne peut en effet désirer protéger la nature que si on la connaît et qu’on (ré)apprend à l’aimer. Et cette célébration a aussi une portée sociale : ce sont bien souvent les gens les plus défavorisés qui souffrent le plus de ce que Charles Bergeron appelle la « défavorisation environnementale ».
Car, faut-il le rappeler : l’écologie s’inscrit aussi dans une perspective sociale. Ce 22 mai, nous soulignerons la Journée internationale de la biodiversité : l’occasion rêvée de retisser des liens profonds avec la nature. Et d’amorcer trois Journées qui comptent.
Certains parcs nationaux du Québec proposent une activité gratuite à cette occasion (l’accès au parc reste tarifé).