Un Québec indépendant dans un Canada uni

« Une nation est une âme, un principe spirituel, […] la possession en commun d’un riche legs de souvenirs […]. Le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours. » — Ernest Renan
Avec la fête nationale qui approche, il est opportun de réfléchir à notre avenir collectif, d’évaluer la distance parcourue sur le chemin de la liberté et de considérer les efforts qui nous restent à réaliser encore.
Le 15 novembre 1976, j’avais 18 ans et je votais pour la première fois. J’avais alors l’intime sentiment de participer à quelque chose de grand et de beau à la fois. Je rêvais pour le Québec de liberté et d’indépendance. Avec l’élection du premier gouvernement souverainiste, je croyais avec une belle naïveté que le peuple s’était engagé dans une démarche de libération nationale.
Puis vint le référendum du 20 mai 1980, avec un non d’autant plus cruel que la question sur un mandat de négocier était molle. L’affaiblissement politique du Québec qui en résulta ouvrit la porte à Trudeau père, qui avait promis aux Québécois du changement…
C’est ainsi que le Québec se retrouva en 1982 avec une Constitution qui nie l’existence nationale des Québécois et qui affaiblit les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Il n’est pas banal de souligner que la Constitution canadienne de 1982 n’a été soutenue par aucun parti politique au Québec.
L’accord de Meech en 1987 visait à favoriser la réparation de l’affront constitutionnel de 1982. Je me souviens comme si c’était hier des mots forts et solennels prononcés par Robert Bourassa le 22 juin 1990 à l’Assemblée nationale, à la suite de l’échec de Meech : « Le Canada anglais doit comprendre de façon très claire que quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin. »
À ce moment précis de notre histoire, je croyais bien que le pays du Québec était à portée de main. Mais Bourassa le naufrageur s’est ramolli en acceptant au rabais la bouillie indigeste dite de Charlottetown, qui avait notamment pour effet de banaliser la société distincte, dans une clause Canada consacrant l’égalité des provinces et le multiculturalisme. La vision historique des deux peuples fondateurs n’aura été qu’un mirage.
Ces dernières tentatives de réforme du fédéralisme ayant échoué, le gouvernement Parizeau, influencé par Lucien Bouchard, posa en 1995 la question du statut du Québec essentiellement en ces termes : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique… » Ce dernier référendum se solda par une courte victoire du non.
Depuis, l’option souverainiste atteint à peine le seuil de 35 %. Cette option semble intéresser de moins en moins les jeunes. On n’en parle pas ou on évite d’en parler pour des raisons électoralistes, pour ne pas faire peur. Le PQ est en déroute.
Québec réclame du fédéral les pleins pouvoirs en matière d’immigration. Sans véritable rapport de force comme nation ou société distincte dans le cadre canadien, le Québec devra vraisemblablement essuyer une rebuffade de plus. D’ailleurs, le premier ministre Trudeau a déjà rejeté à deux reprises cette demande du Québec. Que fera le premier ministre Legault face au non du fédéral ?
Par ailleurs, la contestation du fédéral de la loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec va-t-elle allumer la mèche d’un futur affrontement débouchant sur une crise constitutionnelle ? Bien sûr, les Québécois et les Québécoises forment une nation, et le français est la seule langue officielle du Québec. Mais quel est le poids relatif des articles 90.Q1 et 90.Q2 ajoutés à la Loi constitutionnelle de 1867 face au multiculturalisme, au bilinguisme institutionnel et au principe d’égalité des provinces au Canada ?
Ni Lévesque, ni Parizeau, ni Bouchard n’ont réussi à convaincre les Québécois de la nécessité de la souveraineté. Pour bien des Québécois, le coeur n’y est plus ; il y a trop eu d’espoirs déçus. Quelque chose s’est brisé.
Le premier ministre Legault deviendra-t-il le réparateur, le frère André de la question nationale, en changeant un non en oui ? Mais comment y arriver en se résignant à l’avance à ne pas utiliser l’outil référendaire ? Le chemin de la liberté ne passe-t-il pas par un oui à soi-même ?
Il semble en définitive qu’Yvon Deschamps avait bien raison de dire que ce que les Québécois veulent, c’est un Québec indépendant dans un Canada uni !
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.