Préparons nos universitaires!

J’ai le bonheur d’enseigner à des élèves de 14 à 16 ans dans un collège dont je suis fière. Ces garçons et ces filles sont remplis d’esprit et prêts à s’ouvrir sur le monde. Mais ils sont parfois heurtés par la mention de certaines réalités et par une pédagogie qui les déstabilise, influencés par les batailles qui déferlent sur la place publique.
Devant certaines attitudes, il m’est apparu important de réfléchir sur des principes que parents, enseignants et directions d’écoles pourraient adopter pour marcher dans un esprit de collégialité quand arrivent des situations problématiques. Parce que je sais que mes élèves sont les universitaires de demain matin, je me sens la responsabilité de les préparer à cette grande aventure.
La liberté d’expression est un concept éthique qui renvoie à l’idée qu’on ne doit pas imposer à un enseignant une façon précise de faire son travail. Cette liberté suppose une certaine latitude dans la manière d’enseigner, dans l’organisation de la matière et dans le choix des évaluations. Une liberté bien sûr encadrée par un programme imposé par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MELS) et par une tradition transmise par une école.
Un contrat de base
On s’entend pour dire que la liberté pédagogique a ses limites puisque chaque enseignant est tenu de respecter un contrat de base : enseigner sa matière, se conformer aux objectifs du programme imposé par le MELS, respecter les élèves dans leur intégrité morale et physique, réaliser toutes les tâches qui sont connexes à son enseignement. La liberté pédagogique n’a donc rien d’absolu. Mais parce qu’elle est fondamentale et que ses limites ne sont pas toujours claires, quelques principes communs pourraient permettre aux enseignants de faire leur travail de façon professionnelle, ce qui devrait favoriser et encourager des réactions plus neutres quand des situations complexes se présentent.
Savoir sortir de ses sécurités
Dans l’enseignement, il est important que les élèves acceptent de se confronter à des idées susceptibles de les choquer. Le rôle d’un enseignant n’est pas celui du psychologue qui fait travailler le client sur ses émotions. Il est plutôt de faire évoluer les élèves sur le plan des idées, même si ces dernières sont contraires à celles qu’ils ont reçues dans leur famille.
Permettez-moi une image. Une personne qui s’entraîne sérieusement à la boxe doit s’attendre à ce que son entraîneur le bouscule à certains moments. De la même manière, un jeune doit s’attendre à être confronté intellectuellement par son enseignant. Pour ce faire, ce dernier doit pouvoir garder une latitude où l’élève doit accepter d’être questionné dans son raisonnement, mais aussi d’être exposé à des points de vue qui peuvent lui sembler dérangeants. Le client a peut-être toujours raison, mais l’élève et les parents ne sont pas des clients ; et ils n’ont certainement pas toujours raison.
Utiliser un terme n’est pas y souscrire
Mentionner un mot en classe n’est pas le promouvoir. Par exemple, je vais mentionner le mot « sauvage » dans mes cours d’éthique pour apprendre à mes élèves que ce mot était utilisé de façon erronée et que les Autochtones ne souhaitent pas se faire nommer ainsi. Je n’adopterai toutefois pas ce point de vue colonialiste sur ces personnes. Et je vais expliquer le point de vue raciste qu’entretenaient bien des colons, mais sans pour autant y souscrire.
Cela ne signifie pas que tout mot est bon à prononcer, mais cela permet de relativiser la portée de certaines paroles. Peu importe l’idéal, il faut reconnaître une diversité de points de vue raisonnables sur la façon d’enseigner ce genre de matière. En effet, il peut y avoir un débat raisonnable, par exemple, sur la manière idéale d’enseigner l’œuvre de Pierre Vallières. Il revient à l’enseignant — et non aux parents, aux administrateurs, aux militants, aux élèves — de juger, au meilleur de sa compétence, de la façon de procéder dans le contexte précis de sa classe.
Présumer de la bonne foi des enseignants
Dans un système d’éducation sain, nous devrions présumer que l’enseignant est un professionnel et qu’ainsi, il favorise l’élève. C’est son objectif pédagogique premier. Cela signifie qu’il faut donner priorité à l’enseignant quand survient une controverse.
Cela signifie aussi qu’alors que l’enseignant est présumé raisonnable, l’on ne présume pas que l’adolescent a toujours la maturité requise pour saisir une situation délicate. Présumer de la bonne foi des enseignants permettra non seulement de leur donner un environnement professionnel sain, mais de donner aux élèves un modèle de professionnalisme pour leur vie future.
La liberté pédagogique permet de transmettre aux élèves un signal fort que l’école n’est pas le lieu familial où l’on est conforté dans ses idées. Elle permet d’envoyer un message sérieux et cohérent que dans un cas de litige, l’enseignant a l’espace dévolu pour adopter sa pédagogie propre et sa capacité à remettre en question certaines idées, quitte à choquer et à soulever quelques passions.
Si la liberté pédagogique est respectée, l’enseignant, plutôt que de sentir l’obligation de servir un « client », peut alors jouer son vrai rôle de pédagogue qui permet d’élever le jeune à sa pleine stature. Ainsi, l’enseignant soutient le parent dans son œuvre d’éducation.