L’accès aux données, pour redynamiser la recherche

La démocratisation des données publiques ne fait pas encore l’objet d’une véritable politique d’accès ayant une portée globale et cohérente.
Photo: Yan Doublet - Le Devoir La démocratisation des données publiques ne fait pas encore l’objet d’une véritable politique d’accès ayant une portée globale et cohérente.

À la fin du printemps, Québec déposera une nouvelle Politique nationale de recherche et d’innovation (PNRI). Dans un contexte budgétaire difficile, le gouvernement doit travailler de concert avec la communauté scientifique afin de définir les façons de mieux exploiter les ressources déjà disponibles.


Une manière d’y arriver consiste à faciliter l’accès des chercheurs aux données des ministères et des organismes gouvernementaux. Cette approche, utilisée avec succès par le Danemark, permettrait d’intensifier l’exploitation d’un ensemble de données uniques recelant un potentiel scientifique et analytique considérable. De plus, la recherche ainsi générée assurerait un renforcement de la production scientifique sur le Québec et pourrait offrir, en prime, une évaluation objective de l’efficacité des politiques publiques dans des domaines comme l’éducation, la santé, l’emploi, la langue ou l’immigration.


Si des organismes oeuvrent déjà à la diffusion de certaines données - le Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS) et le Centre d’accès aux données de recherche de l’ISQ (CADRISQ), par exemple, diffusent respectivement les données de Statistique Canada et de l’Institut de la statistique du Québec -, la démocratisation des données publiques ne fait pas encore l’objet d’une véritable politique d’accès ayant une portée globale et cohérente. Soulignons que l’expression « données publiques » fait ici référence aux données de l’État et n’est pas forcément synonyme de « données accessibles ». L’accès aux données existantes est extrêmement inégal, surtout pour les données administratives, en raison notamment d’un manque de ressources pour en assurer la production et la transmission (rappelons que Québec ne remplace qu’un fonctionnaire sur deux), et de la frilosité d’une certaine classe politique qui semble croire que moins l’information est diffusée, moins les « problèmes » potentiels seront nombreux.


Dans certains cas, l’existence même des données publiques est compromise. Des enquêtes sont abolies ou sont reconduites de moins en moins fréquemment. Lorsque les données existent encore, elles sont sous-exploitées, l’expertise et les ressources se faisant plus rares au sein des ministères. La situation est particulièrement inquiétante au niveau fédéral où le gouvernement Harper a pris de nombreuses décisions allant dans le sens d’une dévalorisation de la recherche. Songeons à l’abolition du questionnaire détaillé du dernier recensement, à la suppression de nombreuses enquêtes, à la restriction du droit des scientifiques du gouvernement à diffuser les résultats de leurs recherches (situation d’ailleurs vertement dénoncée dans un éditorial de la prestigieuse revue Nature) et à la dégradation de la réputation du Canada en matière d’accès à l’information (le Canada se classe au 55e rang sur 93 pays d’après le Centre for Law and Democracy). L’abolition du questionnaire détaillé du dernier recensement rend d’autant plus urgentes la valorisation et l’exploitation des enquêtes et des bases de données administratives de l’État québécois.


Par rapport à d’autres provinces canadiennes, le Québec accuse un certain retard en matière de valorisation des données publiques, particulièrement dans le cas des données administratives. Le gouvernement du Manitoba, par exemple, met ses données administratives à la disposition des chercheurs à travers le Population Health Research Data Repository, administré par l’Université du Manitoba. En plus de renseignements sur la santé des Manitobains, cette base de données contient de nombreuses informations démographiques, socio-économiques et même judiciaires.

 

Marche à suivre


Comment s’y prendre ? Dans un premier temps, il faut dresser un inventaire exhaustif des bases de données existantes entreposées dans les ministères et les organismes gouvernementaux. Si des données sont sous-exploitées, c’est entre autres parce que les chercheurs en ignorent l’existence. Ensuite, toutes les données publiques doivent être pensées et traitées pour en permettre la diffusion rapide dans un format désagrégé permettant la réalisation d’analyses complexes et diverses au niveau des individus. L’appariement entre données d’enquêtes et données administratives doit également être facilité. S’il faut protéger l’identité des personnes, comme il faut toujours le faire lorsqu’on utilise des données administratives ou des données d’enquête, l’accès doit être aménagé de manière à la protéger. Il existe plusieurs manières de protéger l’identité des personnes : les règles qui régissent l’accès aux données de la RAMQ à des fins de recherche sont un modèle ; le CADRISQ en est un autre.


Les données gouvernementales constituent une richesse collective et leur démocratisation aurait de nombreuses répercussions positives pour le Québec, notamment en inscrivant la transparence dans l’ADN du gouvernement. La publication des données ne se ferait plus à la discrétion des ministères et l’information pertinente serait accessible au plus grand nombre tout en respectant la confidentialité des individus. Le Québec pourrait aussi se positionner comme chef de file mondial en matière de recherche en sciences sociales et en politiques publiques.


Le Danemark, encore lui, offre aux chercheurs un accès privilégié à ses bases de données publiques. Les chercheurs étrangers peuvent également y accéder, à condition de travailler avec un partenaire danois. L’accès aux données administratives permet ainsi aux Danois de tirer profit des efforts de recherche des chercheurs étrangers, qui adoptent le Danemark comme objet d’études à cause de la qualité et de l’accessibilité de ses données publiques.


Rien n’empêche le Québec de faire de même. Il est possible de renforcer la recherche sur le Québec et sur ses politiques publiques à un coût relativement modeste. Saisissons l’occasion offerte par l’élaboration de la nouvelle Politique de la recherche et de l’innovation pour impulser une nouvelle stratégie de développement scientifique qui aura des répercussions positives pour les chercheurs, l’État et les citoyens.


 

Un appel de 13 professeurs et chercheurs provenant de sept universités québécoises:
Alain Bélanger, Astrid Brousselle, Damien Contandriopoulos, Pierre Doray, Pierre Fortin, Danielle Gauvreau, Yves Gingras, Benoit Laplante, Céline Le Bourdais, Jacques Ledent, Jacques Légaré, Richard Marcoux, Jean Poirier.

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