Les leçons d’une insurrection

Le Congrès américain resserre l’étau autour de l’ex-président Donald Trump, voleur d’élections en chef. Mis au pied du mur au lendemain de sa défaite de novembre 2020, refusant obstinément d’écouter les conseils des membres de son cabinet qui lui enjoignaient de se consacrer à la passation du pouvoir, Trump a mené la charge pour subvertir le résultat. Il a encouragé ses partisans, armés, à perturber le processus de certification du scrutin, refusant même de lancer un appel au calme lorsque ceux-ci sont entrés de force au Capitole, le cénacle de la démocratie américaine.

Au lendemain de cet assaut meurtrier par une meute déchaînée, des penseurs de droite à l’insouciante légèreté d’esprit disaient qu’il était exagéré de qualifier l’affaire de coup d’État. De nombreux partisans de Trump et des élus républicains bien en vue continuent de banaliser la gravité des gestes commis le 6 janvier 2021.

Une commission d’enquête du Congrès, présidée par le démocrate Bennie Thompson, observe les événements du 6 janvier sous la dure lumière des faits, corroborés par 1000 témoins et 140 000 pages de documents. L’assaut contre le Capitole était « le point culminant d’une tentative de coup d’État. Donald Trump était au centre de ce complot », a conclu Thompson.

L’attaque n’était pas fortuite. Il y avait un dessein à l’œuvre derrière cette tentative d’empêcher le Congrès de certifier le résultat de la présidentielle. Trump et les plus immoraux de ses sbires ont coordonné l’effort pour pervertir la Constitution et la démocratie des États-Unis. Une présidence impériale ? On s’en approchait dangereusement jusqu’à ce que des institutions reflétant le système de pouvoirs et contre-pouvoirs chers à la démocratie américaine barrent la voie à Trump et consacrent la victoire de Biden.

L’attaque du 6 janvier n’est pas un mauvais rêve appartenant au passé pour autant. Elle est encore bien vivante dans l’esprit de l’extrême droite et du Parti républicain qui, pour le moment, demeure une formation monolithique évoluant dans un corridor étroit, entre la tentation d’une candidature de Trump 2024 ou le trumpisme sans le Donald.

Les efforts de subversion du processus électoral sont permanents dans les États sous le contrôle des républicains. Sans fardeau de preuve ni justification, plus d’une vingtaine de ces États ont adopté des lois pour restreindre l’universalité du scrutin, resserrer l’accès aux bureaux de vote et surveiller la conduite des travailleurs d’élections, parfois sous peine de poursuites criminelles. Il est pour le moins ironique de constater que la formation responsable de la plus grande tentative de fraude électorale de l’histoire moderne aux États-Unis, le Parti républicain, cherche à réprimer des fraudes où il n’y en a pas, alors que toute sa pensée intellectuelle et son action du moment sont orientées vers la fraude et la supercherie de masse. L’aveuglement volontaire à la puissance dix.

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La désintégration de l’éthique démocratique au sein du Parti républicain nous concerne plus qu’il n’y paraît à première vue. Les États-Unis sont le principal partenaire économique et stratégique du Canada, dont les intérêts seraient mal servis par quatre autres années de turbulence trumpiste.

Le Canada et le Québec sont des nations démocratiques, imparfaites certes, mais elles adhèrent majoritairement au respect du suffrage universel et des institutions. Toutefois, à des doses homéopathiques, le populisme revanchard est bien présent dans nos débats politiques. Il n’y a qu’à écouter l’un des principaux candidats à la chefferie du Parti conservateur, Pierre Poilievre. Il n’y a qu’à se souvenir de son appui aux propos incendiaires du prétendu Convoi de la liberté, qui a paralysé la colline parlementaire et le commerce transfrontalier.

De nos jours, même les idées les plus loufoques et saugrenues venues des États-Unis se fraient un chemin dans nos débats grâce à la pollinisation instantanée des réseaux sociaux. Chez notre gros voisin, promoteur en chef de la démocratie dans le monde, il y a lieu de s’inquiéter lorsqu’un parti glisse vers l’autoritarisme au point de se considérer comme le seul parti naturel apte à gouverner.

La transition harmonieuse du pouvoir est l’un des actes fondateurs des États-Unis et une condition essentielle à la vitalité des nations démocratiques. Cet héritage est victime d’une attaque aux États-Unis. Le peuple américain est plus divisé quant au sérieux de la menace qui pèse sur la démocratie américaine : une majorité d’électeurs républicains croient au mensonge de l’élection volée.

L’œuvre de subversion et de perversion des institutions démocratiques sera au cœur du combat intérieur pour l’âme des États-Unis et, d’une façon plus large, pour la légitimité des systèmes démocratiques que les nouvelles puissances, la Chine en tête, taxent d’obsolescence. Ce sont là des leçons durables de l’insurrection du 6 janvier 2021. En terre d’Amérique, une expérimentation démocratique vieille de deux siècles et demi est exposée aux assauts de l’hommerie.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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