Le diapason culturel

Qui a dit « Le prochain président du CTRC sera bilingue » ? La réponse facile eût été Pablo Rodriguez. Erreur. Invité à réagir à l’offre d’emploi publiée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes spécifiant que la maîtrise des deux langues officielles « serait préférable », mais « pas essentielle » à ce poste névralgique, le ministre du Patrimoine a plutôt tonné : « Il va être bilingue. Croyez-moi qu’il va être bilingue ! » Et c’est peut-être là ce qui choque le plus dans cette histoire : sa douloureuse répétition, qui nous rappelle crûment qu’une fois l’indignation passée, il est trop facile de revenir à la programmation régulière.

Donc, qui a dit « Le prochain président du CTRC sera bilingue » ? Il faut remonter à janvier 2012 pour le trouver. Ces mots exacts ont été transmis à La Presse canadienne au nom du ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, James Moore. Le ministre conservateur avait trouvé le moyen de tenir sa promesse avec la nomination de Jean-Pierre Blais, bilingue comme il se doit. À l’époque, pour excuser la frilosité linguistique de l’appel auprès de ceux qui s’en étaient offusqués, le cabinet du ministre Moore avait laissé entendre une rengaine déjà usée. Pas besoin de chercher des puces : le processus et le texte de l’affichage sont « standards ».

Une nouveauté, ce libellé ? Même pas. En 2006, l’affichage n’était pas plus exigeant en matière de compétences linguistiques. C’est Konrad Von Finckenstein, bilingue comme son prédécesseur Charles Dalfen, qui avait remporté la mise. Malgré une volée de bois vert devenue commune au fil des affichages dits « standards », comment explique-t-on qu’on en soit encore, en 2022, à quémander des assurances au ministre du Patrimoine ? N’apprend-on pas de nos erreurs ?

Il est déjà d’usage pour certains affichages gouvernementaux d’importance d’opter pour des critères linguistiques plus exigeants, jusqu’à indiquer le bilinguisme comme étant « essentiel ». Le gouvernement Trudeau y croit, parfois. Faire du bilinguisme une compétence incontournable pour les juges à la Cour suprême du Canada est par exemple sur la table à dessin de la ministre des Langues officielles.

La vigueur de la sortie péremptoire de M. Rodriguez laisse entendre qu’il aurait attendu la même chose pour la présidence d’un organisme aussi sensible que le CRTC, dont le mandat est inextricablement lié à la vigueur de notre culture nationale, laquelle se joue, il n’est pas superflu de le rappeler, dans les deux langues officielles. C’est aussi ce que nous aurions attendu.

Or, non seulement cet affichage dévie de la volonté ministérielle, mais il précise qu’une préférence pourrait être accordée aux femmes, aux Autochtones, aux personnes handicapées et aux minorités visibles, menaçant du coup le principe de l’alternance entre francophones et anglophones qui a cours à la tête de ce tribunal administratif. Le ministre Rodriguez a déjà dit que l’alternance lui importait peu, pour autant que le candidat retenu soit bilingue dès l’embauche. On s’excusera de ne pas aller aussi loin que lui. Cet engagement moral de bon aloi avait quand même force de symbole, on eût apprécié qu’il tienne.

Bien des francophones n’ont pas encore digéré la nomination de Mary Simon comme gouverneure générale, bilingue, certes, mais grâce à sa maîtrise de l’anglais et de l’inuktitut. Elle a promis d’apprendre le français et elle fait des progrès, dit-on. Tant mieux. Peu nous chaut qu’elle y mette du temps, sa fonction au Québec est vue au mieux comme un accessoire, au pire comme un relent dont on aimerait bien se débarrasser.

Il en va tout autrement du CRTC, dont le mandat est de « veiller à ce que les Canadiens aient accès à un système de communication de classe mondiale qui encourage l’innovation et enrichit leur vie ». À l’heure où l’important projet de modernisation de la Loi sur la radiodiffusion (C-11) entame sa dernière ligne droite, il paraît fondamental de réitérer que l’organisme qui veillera à son application doit incarner un bilinguisme tous azimuts. Jusqu’à sa tête dirigeante, et ce, dès le jour un.

À plus forte raison quand on sait que la culture canadienne fait mieux son chemin jusqu’à ses publics en français qu’en anglais, en télé du moins. En 2020, sur les dix émissions les plus écoutées en anglais, dix provenaient des États-Unis. Et en français ? On vous le donne en mille : en 2021, les dix positions appartenaient à des productions d’ici.

Mort au feuilleton dans son ancienne incarnation (C-10), le projet de loi C-11 a dans sa mire les géants du numérique qui échappent à nos réglementations. Sans surprise, il jouit d’un fort appui des gens de l’audiovisuel. Anglos comme francos. Pour tous ces gens dont le métier est de faire rayonner notre culture, faire contribuer les diffuseurs en ligne à la culture canadienne relève de la nécessité pure. C’est la « trame sonore de nos vies » qui « est en jeu », affirment-ils. On le leur accorde sans peine. Et c’est pourquoi on ne peut pas imaginer que celui qui tiendra la baguette ne soit pas au diapason avec eux.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

À voir en vidéo