La comédie des bandits
En 2017, lorsqu’il fut questionné sur les fuites de renseignements sur les enquêtes visant le Parti libéral du Québec (PLQ), le patron de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière, avait exprimé son dédain devant les élus de l’Assemblée nationale. Dénonçant ce geste « d’une déloyauté totale », il exprimait le souhait de trouver « le bandit qui a fait ça ».
À en juger par les travaux du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sur les fuites à l’UPAC, Robert Lafrenière voyait le bandit tous les jours dans le reflet de son miroir. Les informations rendues publiques par le juge André Perreault ne sont pas des faits avérés ; elles témoignent des soupçons des enquêteurs du BEI. Malgré ces nuances, les révélations demeurent troublantes en ce qu’elles dépeignent M. Lafrenière comme un vil opportuniste. Il aurait « orchestré un système de fuites » d’informations sensibles, synchronisées avec les travaux de l’Assemblée nationale, afin de faciliter le renouvellement de son mandat et de conférer à l’UPAC l’exclusivité des enquêtes sur la corruption au Québec.
Des membres de la garde rapprochée de M. Lafrenière, parmi lesquels figurent l’enquêteur Vincent Rodrigue, l’inspecteur André Boulanger et sa conjointe, la lieutenante Caroline Grenier-Lafontaine, auraient participé au travail de sape. Ils auraient même poussé l’effronterie jusqu’à déclencher une enquête interne sur les fuites, en détournant l’attention sur d’autres personnes, tel le député libéral Guy Ouellette. Celui-ci n’a jamais fait l’objet d’accusations, il a même reçu des excuses de la nouvelle direction de l’UPAC. Si les faits sont avérés, on commence à se rapprocher dangereusement de l’abus de confiance et de l’obstruction de la justice, des infractions criminelles. Les conséquences de ces stratagèmes furent désastreuses. Ces fuites et les inconduites visant à protéger leurs auteurs ont contribué à l’arrêt des procédures, pour délais déraisonnables, dans les procès de l’ex-vice première ministre, Nathalie Normandeau, et de l’ex-vice-président de Roche, Marc-Yvan Côté. Elles ont sapé l’enquête sur le financement du PLQ, ciblant l’ex-premier ministre Jean Charest et l’argentier bénévole Marc Bibeau (Schokbéton).
L’UPAC essaie de tourner la page, non sans peine. Le nouveau patron, Frédérick Gaudreau, se démène pour rebâtir la crédibilité de l’unité et adapter ses méthodes aux exigences modernes de la lutte contre la corruption. L’unité fait par ailleurs l’objet d’une rigoureuse surveillance par un comité indépendant présidé par Claude Corbo.
Des partis d’opposition aux visions simplistes ne le voient pas de cet œil. Ainsi, les chefs du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, et du Parti libéral, Dominique Anglade, demandent le démantèlement de l’UPAC, contribuant par le fait même à saper la crédibilité d’une escouade dont le Québec a encore besoin. Dans ce contexte, les paroles de Manon Massé sont empreintes de sagesse. Le commissaire Gaudreau s’est donné trois ans, de 2021 à 2023, pour redresser la situation. Donnons-lui la chance de faire atterrir « l’UPAC 2.0 », comme le suggère la députée de Québec solidaire.
Quant à Robert Lafrenière, il conteste la vision du BEI avec véhémence. Nous le mettons au défi de saisir les tribunaux de sa cause. Nous aussi implorons aussi le BEI de boucler son travail une fois pour toutes, car les enquêtes perpétuelles, les suspicions et les théories de la cause non prouvées en cour ont un effet désastreux sur la crédibilité de l’organisation policière au sens large. Soit on accuse les bandits, soit on cesse de laisser planer le doute qui s’installe à demeure avec des enquêtes sans fin.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.