Le Québec libre de ses choix

Quarante ans après l’imposition d’une refonte constitutionnelle qui rognait sur les pouvoirs de l’Assemblée et refusait toute reconnaissance formelle à la nation québécoise, le gouvernement fédéral, répondant à une volonté de domination atavique au Canada anglais, est résolu à restreindre plus avant la liberté politique du peuple québécois.

Mercredi, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, a révélé que le gouvernement Trudeau cherche à mettre fin à la possibilité pour le gouvernement québécois de recourir de façon préventive à la disposition de dérogation que contient la Charte canadienne des droits et libertés que contient la modification constitutionnelle de 1982. Il entend demander à la Cour suprême d’invalider sa propre jurisprudence établie en 1988 par l’arrêt Ford. Rien de moins.

De façon inattendue mais délibérée, à la faveur d’un point de presse incongru sur le trottoir d’une rue de Verdun, David Lametti a mis la charrue devant les bœufs en affirmant que le gouvernement Trudeau présenterait des arguments devant la Cour suprême pour qu’elle invalide la Loi sur la laïcité de l’État québécois.

Sur le strict plan juridique, qu’un ministre de la Justice annonce que son gouvernement interviendra en Cour suprême avant même de prendre connaissance de la décision de la Cour d’appel sur le sujet et sans savoir si la plus haute cour acceptera après d’entendre la cause est pour le moins inusité. La Cour d’appel du Québec ne s’est pas encore prononcée sur la décision du juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, qui a invalidé l’an dernier une partie de la loi 21 applicable aux commissions scolaires anglophones. On ne connaît même pas la date d’audition de la cause. Entre-temps, la Cour d’appel a maintenu l’ensemble de la loi en vigueur le temps que le tribunal tranche sur le fond.

David Lametti a également donné son avis sur la loi 96, qui venait d’être adoptée. Il a repris à son compte certaines des craintes qui agitent les anglophones québécois sur les services de santé en anglais, que la loi n’affecte pas. Il s’est inquiété des impacts de la loi sur les nouveaux arrivants et les Autochtones. « Je ne suis pas moins québécois parce que je m’oppose au projet de loi 96 », a dit cet ancien professeur de droit de l’Université McGill. La question de l’accès en anglais à la justice le préoccupe, mais ces aspects de la loi ne sont pas mis à l’abri par la disposition de dérogation à laquelle le gouvernement caquiste a eu recours et pourront donc être revus par les tribunaux.

En dévoilant son jeu si tôt, David Lametti, au nom du gouvernement Trudeau, ne fait que réagir à la grogne, voire à la colère, que les deux projets de loi ont suscitée parmi les anglophones du Québec, mais aussi ailleurs au Canada anglais. C’est un geste politique.

Par les temps qui courent à Toronto, on se plaît à voir dans François Legault un cryptoséparatiste qui tente de réaliser l’indépendance par la porte arrière. Dans un éditorial vitriolique, le Globe and Mail n’a pas hésité, comme le font les détracteurs de la loi 96, à déformer sa portée, avançant le plus sérieusement du monde que le gouvernement du Québec procédera à des perquisitions abusives, violera le droit à la vie privée et piétinera le secret professionnel. Du haut de cette supériorité morale dans laquelle l’intelligentsia canadienne-anglaise enrobe son mépris, on laisse entendre que le Québec n’est pas un État de droit. On accuse le gouvernement caquiste de « tranquillement redéfinir l’ordre constitutionnel », alors qu’il ne fait qu’exercer ses prérogatives. Venant de la majorité canadienne-anglaise dont les premiers ministres se sont entendus perfidement pour modifier la Constitution sans l’accord de la minorité nationale, cette accusation ne trahit qu’un vieux fond d’oppresseur. Le Québec n’aurait le droit d’exister que sous tutelle.

Vendredi dernier, lors d’une interpellation à l’Assemblée nationale, la ministre responsable des Relations canadiennes, Sonia LeBel, qui, tout en se revendiquant du nationalisme autonomiste prôné par la CAQ, est une des plus sincères fédéralistes du cabinet, a affirmé que la disposition de dérogation contenue dans la Charte, ce qu’elle désigne sous le vocable de « clause de souveraineté parlementaire », permet au Québec de protéger son modèle de société. « Le Québec est libre de se doter d’un modèle d’organisation des rapports entre les religions et l’État », a-t-elle soutenu, un modèle digne d’une société évoluée et démocratique.

En remettant en cause le recours à la disposition de dérogation, pourtant éprouvé, avec ce qu’il nous semble des arguties nouvelles et imaginatives, c’est cette liberté que cherche à brimer le gouvernement Trudeau, appuyé par une armada de distingués juristes canadiens qui se triturent les méninges.

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