Après le désastre, la réparation

Si on doutait de l’utilité et de l’éclairage additionnels d’un énième rapport sur l’hécatombe survenue dans les CHSLD du Québec lors de la première vague de la pandémie, soyons détrompés. Oui, le rapport très attendude la coroner Géhane Kamel ajoute des éléments concrets à la trame de fond, confirme ou précise certaines théories avancées auparavant, et propose surtout des avenues de correction on ne peut plus concrètes. But visé : éviter qu’un tel déni de société civilisée porte à nouveau la signature du Québec.

La compétence principale d’une coroner est de juger des causes des décès lorsque ceux-ci sont violents, obscurs ou potentiellement causés par de la négligence. Dans son analyse détaillée de chacune des 47 morts survenues au CHSLD Herron entre le 12 mars et le 1er mai 2020, Géhane Kamel fait le récit inédit de fins de vie déchirantes, dont on peine à imaginer l’impact sur les familles. Les résidents de Herron, plusieurs arrivés là dans les jours ou les semaines précédant leur mort, ont vécu leurs derniers instants déshydratés, esseulés, affamés, mal soignés, négligés et, parfois même, oubliés.

Pour ausculter la tragédie de tous ces décès en CHSLD, où le Québec remporte la palme du taux le plus élevé au Canada, plusieurs rapports précédents avaient pointé les mêmes possibles causes, pavant la voie à ce que Mme Kamel appelle ici une « catastrophe annoncée ». La désertion du personnel soignant, le manque d’équipement de protection, les hiatus importants dans la chaîne de communication, l’absence de commandes claires, la fermeture des portes aux proches aidants, l’approche « milieu de vie » en contraste complet avec celle du « centre hospitalier ».

La coroner vient colorer le portrait avec des précisions de nature médico-légale, dont certaines sont à glacer le sang : dans plusieurs dossiers, on note une absence de notes médicales, ou en tout cas des rapports faméliques et non complétés pendant des semaines. Des « oublis » de service de plateaux de nourriture. Un homme tombé dans la salle de bains et resté là tout seul malgré des appels à l’aide répétés. Des accidents qui ont parfois provoqué une détérioration de l’état général du patient, menant au décès. Il y a eu des patients déshydratés, ça, on le sait. Une absence fréquente de réelle cause de la mort, par manque de suivi médical adéquat. Une indisponibilité des tests COVID qui fait souvent conclure à la coroner qu’on suppute la COVID comme cause probable de décès, sans toutefois pouvoir l’affirmer. Bref, ces gens sont décédés dans un contexte de négligence et d’abandon. Voilà la terrible « vérité » que les familles ont eue à affronter.

Le rapport de la coroner Géhane Kamel a servi plusieurs fois de paravent au gouvernement Legault lorsque des demandes pressantes de commission d’enquête publique lui ont été formulées, comme ce fut le cas en cette colonne. Chaque fois, le premier ministre et son équipe disaient vouloir attendre ses conclusions et reprochaient aux demandeurs de chercher à tout prix à identifier des « coupables ». Mardi, une première démission est tombée dans la foulée du rapport de Mme Kamel, en la personne de Lynne McVey, p.-d.g. du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île, qui était responsable du CHSLD Herron. Ce départ n’est pas étonnant compte tenu du mauvais rôle qu’elle a joué dans le scénario. Il s’accorde avec le souhait du premier ministre Legault de déceler plus d’imputabilité.

Plus que des démissions, il faut espérer désormais des actions afin que se renverse cette trame sociologique qui fait du Québec un endroit où il ne fait pas si bon vieillir, après tout. S’il est sincère dans sa volonté de changement, le gouvernement Legault doit honorer les recommandations de la coroner.

Une des idées phares du rapport concerne la transformation des CHSLD privés en centres privés conventionnés, ce qui permettrait à la fois d’assurer un financement plus pérenne et un contrôle de la gestion plus efficace. Cela serait suivi de près par une bonification imposante du système de soins à domicile, une avenue qui a maintes fois été avancée dans le passé comme planche de salut. L’idée d’un service civique d’urgence, comme on en voit un pour les catastrophes naturelles, n’est pas vilaine. La nécessité de protéger l’indépendance du directeur national de santé publique a été démontrée avec éloquence, et Horacio Arruda fait partie des écorchés du rapport Kamel, justement pour la confusion qui l’enveloppait lors de certaines recommandations, notamment liées à la disponibilité des équipements de protection sur le terrain.

L’une des défaillances les plus douloureuses ayant mené à l’« hécatombe » restera sans contredit la priorisation du modèle hospitalier au détriment de la formule CHSLD, ainsi que l’impression très nette de naviguer en « seconde zone » lorsqu’il est question de ces centres de soins de longue durée. Il est à souhaiter qu’une nouvelle philosophie de respect et de bienveillance vienne dicter les choix politiques du Québec. Les projections démographiques nous incitent à tout mettre en œuvre pour que le Québec soit fou de ses aînés.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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