Carmant, Généreux et Winnicott

Je ne saurais dire qui, de l’artiste, la psy ou la citoyenne, a mené cet entretien avec les candidats de l’actuelle campagne électorale sur le sujet de la santé mentale. Évidemment, j’espérais un échange dépassant les discours convenus, les représentations habituelles au service des images. J’avais espoir de penser et de parler de santé mentale autrement que de la manière dont nous l’abordons partout, avec ce ton alarmiste, plutôt « crisophobe », terme que j’emprunte à la psychologue Camille Veit.

J’ai la chance d’avoir ces dispositions naïves encore possibles en moi et je dois dire qu’elles me nuisent rarement. Toutefois, jamais je ne me serais attendue à parler de Winnicott avec le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux sortant. Vous lirez donc ici les bribes de deux échanges qui ne m’ont pas déçue, le premier avec Lionel Carmant, de la CAQ, le second avec Mélissa Généreux, de Québec solidaire. La prochaine chronique contiendra celles issues des entretiens avec les trois autres candidats.

Nous, les psys, sommes intéressés à ce qui n’est pas apparent, à ce qui est « dessous », « antérieur », « à dévoiler », j’insisterai donc peu sur les solutions concrètes envisagées par les partis. Pour cela, j’inviterai les gens à aller visionner l’excellent débat organisé par la Coalition communautaire en santé mentale. Ici, je m’intéresserai plutôt à l’origine des choses, en commençant par une question complexe : pourquoi y a-t-il tant de souffrance psychologique dans notre société ?

À cette question, Lionel Carmant a d’abord répondu par un « Wow ! Okay… » qui m’a ravie. Rapidement, le ministre sortant, visiblement intéressé, a pointé deux grands enjeux : l’exigence de performance et la désintégration du filet familial, qui, dans son oeil de neuropédiatre, rendent la vie des uns et des autres plus complexe, plus stressante aussi. La lecture de Mme Généreux, axée sur les déterminants sociaux de la santé mentale, est, elle, en parfaite cohérence avec la vision de son parti, qui tente d’agir sur ceux-ci afin de rendre la vie plus habitable au plus grand nombre.

Lorsqu’ils ont été questionnés sur les sources du désagrégement des services publics en santé mentale, les deux n’ont pas mâché leurs mots. Alors que Mme Généreux pointe la création des mégastructures, qu’elle qualifie de « catastrophique », M. Carmant est catégorique : « Ce qui a tué le réseau, ce sont les méthodes Lean. » Celle des années Barette ? « Bolduc ! Bolduc, c’est le King du Lean ! précise M. Carmant. Cette intrusion de la performance dans le réseau de la santé et des services sociaux a eu un impact désastreux. C’est là que les psychologues sont partis. »

À ce sujet, tous deux souhaitent rapatrier les psychologues dans le réseau public, parlant rehaussement salarial et autonomie professionnelle, sans toutefois négliger l’apport des autres professionnels en santé mentale. « On essaie de me faire dire que je ne reconnais pas l’interdisciplinarité et que je suis dans l’interchangeabilité. Mais pas du tout ! Je pense seulement que nous pouvons aussi revaloriser toutes les expertises au service de la population », allègue M. Carmant.

Mme Généreux, elle, s’insurge aussi sur les conditions et les salaires des travailleurs du milieu communautaire, parfois inférieurs aux employés de chaînes de restauration rapide. C’est quand nous avons parlé prévention que Winnicott est arrivé, ce bon Donald, qui fait quasi l’unanimité chez les psys. Les cadeaux conceptuels que le psychiatre et psychanalyste nous a offerts, tels que la « mère-suffisamment-bonne » ou « l’espace transitionnel », nous sont d’une grande utilité, encore à ce jour, lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui nous constitue en tant que membres de l’espèce humaine.

C’est toutefois le concept de « fonction contenante » qui a marqué nos échanges. Winnicott distingue, chez les parents, la fonction contenante (« holding ») de celle qui se limite aux soins prodigués, la « pare-excitation » (« handling »). La révolution, c’est d’avoir avancé que, d’abord et avant tout, le bébé humain a besoin d’être « contenu », lu, entendu et compris, bien avant d’être « apaisé par des gestes ».

Dans une ère où le discours sur la santé mentale repose sur un vocabulaire principalement pare-excitant, il semble urgent de poser la question des lieux, réels ou symboliques où, avant d’avoir des diagnostics, des outils, des techniques et des médicaments, les gens pourraient d’abord être accueillis, reçus, entendus, contenus.

C’est la tragédie ferroviaire de Mégantic qui a appris à Mme Généreux, alors qu’elle était directrice de santé publique en Estrie, ce qu’était la fonction contenante. Il n’y avait aucun guide sur les bonnes pratiques, elle a donc tendu l’oreille et a écouté la communauté. « C’est comme ça que ma posture de politicienne est née. Je suis une facilitatrice, pas une experte qui dit aux communautés comment se soigner. »

Pour M. Carmant, la prévention en santé mentale doit être axée sur les parents, pour les soutenir, le plus tôt possible, dans le développement de leurs compétences parentales. Nous sommes bien d’accord, mais j’ai insisté un peu sur l’importance de la fonction contenante bien avant la mise en place de nouveaux guides. « Vous ne pensez pas que les parents ont besoin qu’on leur dise comment faire le “holding” ? » a demandé M. Carmant. À vrai dire, je crois qu’il faut avoir été « contenu » pour savoir « contenir ». « Ah… C’est super intéressant, ça ! »

Encore une fois, j’étais satisfaite de l’effet obtenu.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo