Le meilleur bilan de l’histoire
Le suspense n’étouffait personne, mais c’est désormais chose dite : la campagne électorale sera déclenchée dimanche. Le murmure préélectoral aura accompagné le chant des grillons tout au long de la belle saison, et tous les partis sont déjà bien occupés à se montrer sous leur meilleur jour.
Après un été marqué par l’enchaînement des catastrophes, entre la crue et les sécheresses, la multiplication des vagues de chaleur, les incendies ravageurs et l’un des mois de juillet les plus chauds jamais enregistrés, on aurait aimé croire que cela suffirait à placer la question climatique au coeur de la campagne. Sauf qu’on devine déjà que l’environnement sera tout au plus instrumentalisé par l’un et l’autre d’ici le 3 octobre, tantôt pour se donner une belle jambe, tantôt pour nuire aux autres — surtout au gouvernement sortant, qui redouble d’efforts pour redorer son bilan environnemental.
Habile pour lire l’humeur ambiante, ou soucieuse de protéger son talon d’Achille, la Coalition avenir Québec (CAQ) s’est empressée de vanter ses réalisations dès le mois de mai. Dans un billet publié sur le site Web du parti, intitulé « La CAQ en environnement : le meilleur bilan de l’histoire ? », on rapporte (ou on imagine, ce n’est pas clair) les propos d’un partisan aux anges des services rendus par son gouvernement, mais s’avouant déçu « en environnement, où vous pourriez vous forcer plus ».
Avec une impeccable subtilité, on devance ainsi la critique et on s’empresse de la réfuter. La CAQ a mauvaise réputation en matière d’environnement, tout le monde le sait, mais détrompez-vous : il suffit de regarder « les faits » pour dissiper cette vilaine rumeur. En réalité, mesdames et messieurs, le gouvernement Legault a « probablement le meilleur bilan de l’histoire en environnement ». Mais d’où vient donc cette malheureuse erreur de perception ?
La négligence environnementale est un caillou dans la chaussure de la CAQ depuis 2018. Durant la dernière campagne électorale, un examen des propositions des différents partis, réalisé par une coalition de groupes environnementaux, avait démontré que la CAQ était le parti le moins bien préparé à répondre aux défis posés par la crise climatique. À la veille de son arrivée au gouvernement, la CAQ parlait encore de maintenir les subventions aux énergies fossiles et refusait de s’engager à interdire le développement de nouveaux projets d’exploitation d’hydrocarbures. Elle était aussi le seul parti qui refusait de s’engager à protéger 10 % des aires marines et 17 % des aires terrestres. L’idée d’une transition énergétique était remarquablement absente de son vocabulaire, et chaque engagement en faveur de l’environnement était modéré par un clin d’oeil à l’industrie.
Ce manque de sérieux avait été couronné par la nomination de MarieChantal Chassé comme ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, laquelle avait dû, durant les 83 jours que dura son mandat ministériel, défendre un plan inexistant, sans expérience ni préparation. Ce faux départ avait rapidement été constaté par le premier ministre Legault, qui en a sans doute tiré la leçon que l’environnement n’est plus un dossier aussi facilement négligeable que par le passé. À preuve, le gouvernement sortant souffre encore d’un manque de crédibilité en la matière, et il le sait très bien.
La CAQ a beau vanter son bilan exemplaire, en invoquant essentiellement s’être dotée d’un plan — son Plan pour une économie verte, sa politique d’électrification, sa réforme du Fonds vert —, les résultats ne sont pas aussi nets qu’on le prétend.
On l’a déjà dit : il est désormais quasi certain que le Québec ratera sa cible de réduction des GES fixée pour 2030, soit de 37,5 % par rapport au niveau de 1990. Les mesures incluses dans le Plan pour une économie verte sont « largement insuffisantes » pour que la province atteigne cet objectif, indiquait en juin un rapport de l’Institut de l’énergie Trottier et de Polytechnique Montréal. On pourrait encore espérer atteindre le seuil visé en 2050, mais ce serait trop peu, beaucoup trop tard, si l’on se fie aux avertissements formulés dans les derniers rapports du GIEC.
Quant à la nouvelle mouture du Fonds vert, on découvrait d’importantes carences dans sa gouvernance, alors que l’on a injecté des sommes d’argent dans des programmes qui n’avaient pas été évalués par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.
Il est toujours souhaitable de se doter d’un plan, dira-t-on, mais encore faut-il l’exécuter avec sérieux. Il n’est pas non plus nécessaire de creuser bien loin pour remarquer les manoeuvres contradictoires du gouvernement Legault. D’un côté, on abandonne GNL Québec et on annonce la fin de tout projet de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures. Mais de l’autre, on continue de tolérer le recours au gaz naturel pour répondre à la demande énergétique du Québec. D’un côté, on parle du REM, d’électrification des transports, mais de l’autre, on nous sert sans rire la fable d’un troisième lien « carboneutre », sans mentionner que les émissions de GES liés au transport ne diminueront jamais substantiellement sans affranchissement de l’automobile individuelle.
L’improvisation a laissé place à un jeu d’illusion pervers. On mime la prise en main, parce qu’on a bien compris que quelque chose a changé dans l’air du temps. Sauf qu’on donne d’une main pour mieux reprendre de l’autre, et ainsi maintenir le statu quo. On se dit qu’au moins, la CAQ a l’honnêteté d’afficher clairement ses intentions : « Continuons. »
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.