L’université stratégique

Un comité parlementaire a demandé à la vérificatrice générale de l’Ontario d’enquêter sur ce qui s’est produit à l’Université Laurentienne de Sudbury. Dans son rapport préliminaire publié le 13 avril, la vérificatrice Bonnie Lysyk examine les situations ayant conduit l’Université à se placer à l’abri de ses créanciers en vertu d’une loi conçue pour encadrer l’insolvabilité d’entreprises commerciales et y remédier. Elle explique comment la direction a stratégiquement planifié sa décision de recourir à cette loi qui neutralise les mécanismes normaux de fonctionnement de l’Université.

La manœuvre a entraîné la suppression de 72 programmes, dont 29 en français, et le congédiement de dizaines de professeurs. En décidant de se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers, l’Université faisait appel à une procédure conçue comme un dernier recours pour les entreprises commerciales. Autrement dit, on a organisé la faillite financière de l’Université pour neutraliser les exigences de collégialité inhérentes à une université publique.

La vérificatrice explique que, devant le caractère catastrophique de sa situation financière, les gestionnaires de l’université n’ont pas jugé bon de suivre les pratiques bien établies en la matière et de requérir une aide du ministère. Sur les conseils de consultants externes, ils ont plutôt persisté à défendre, auprès des élus et de leur personnel, le recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers. La vérificatrice observe que, si elle avait cherché à travailler plus tôt et de façon transparente et accepté l’aide financière de la province, l’Université Laurentienne aurait disposé d’assez de temps pour l’examen de sa situation financière et pour la mise en place d’un plan prospectif.

En somme, en se comportant comme si elle dirigeait un centre commercial, la direction a oublié que cette université est un service public. Plutôt que de mobiliser la communauté, elle a choisi de tenir à l’écart les professeurs, les employés et les étudiants, et de gaspiller des fonds pour engager des « consultants » externes. De plus, l’Université s’est lancée dans d’importantes dépenses de construction et a accru les dépenses rattachées à la haute direction. Surtout, elle a multiplié les dépenses afin de poursuivre stratégiquement les démarches de « restructuration ».

Le rapport explique que la haute direction de l’Université a refusé de respecter une clause de la convention collective des professeurs conçue pour faire face à une situation financière désastreuse. Le déclenchement de ce mécanisme aurait forcé la haute direction à partager des informations financières avec les représentants des professeurs afin de trouver de manière concertée des solutions aux impasses engendrées par une gestion erratique. Au lieu de rechercher la coopération avec les artisans de l’Université, la haute direction s’est entêtée à recourir à la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Le tout en maintenant une opacité qui laissait les professeurs et étudiants sans informations significatives sur l’état réel de l’Université.

Des leçons

 

La direction de la Laurentienne s’est comportée de façon à rendre inopérants les mécanismes qui protègent la liberté universitaire. Voilà qui illustre à quel point il est essentiel de garantir que les enseignants disposent de pouvoirs effectifs sur les décisions de gestion. Il n’y a pas de réelle liberté universitaire lorsque les gestionnaires peuvent arbitrairement supprimer des programmes et congédier par la bande des professeurs et des chercheurs.

Ce scandale est emblématique des dangers qui menacent les institutions universitaires lorsque celles-ci sont laissées aux mains de gestionnaires indifférents à leur mission de service public. Il est difficile de trouver meilleure illustration de la nécessité de garantir de solides mécanismes internes par lesquels les professeurs et tous ceux qui contribuent à la réalisation des missions de l’Université sont en mesure de connaître l’état de ses finances et d’agir dessus. Ce volet de la liberté universitaire est le plus important, car il conditionne tous les autres. À quoi bon avoir le droit de prononcer un mot dans un cours si des gestionnaires ont le loisir d’abolir le cours ou tout le programme ?

On nous dira que l’Université Laurentienne est un cas extrême. Mais ce cas s’inscrit dans une tendance lourde. Au cours des récentes décennies, les conseils d’administration de plusieurs universités ont été remplis d’administrateurs plus soucieux de reproduire les pratiques qui ont cours dans le monde des affaires que de promouvoir la mission critique des institutions.

Trop souvent, ces conseils fonctionnent en secret. Les informations à la disposition des membres pour prendre des décisions émanent presque exclusivement de gestionnaires qui n’ont pas d’obligation de reddition de comptes aux gens de terrain. On tolère certes que quelques individus émanant des personnels siègent à ces instances décisionnelles. Mais ils sont souvent muselés, contraints, en vertu de règles de « gouvernance » importées des usages commerciaux, de s’engager à garder confidentiel pratiquement tout ce qui se déroule dans les lieux de décision.

La saga de l’Université Laurentienne a quelque chose d’hallucinant. Elle illustre ce qui se produit lorsque les artisans d’une université sont exclus de ses processus décisionnels significatifs. Lorsque des décideurs ont tout le loisir de planifier des suppressions de cours et de programmes, il n’y a pas de liberté universitaire. Il y a là un rappel que la véritable garantie de cette liberté passe par le renforcement de la gouverne démocratique et inclusive des universités par celles et ceux qui y travaillent.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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