Silence, on tourne!
Il est pour le moins inhabituel qu’un parti politique doive simuler une entrevue à caractère intimiste avec son chef pour le faire connaître à ses propres militants, comme le PLQ l’a fait samedi avec Dominique Anglade.
L’absence de course à la chefferie, qui lui a évité tout questionnement, et les longs mois de pandémie se font sentir. Si, à dix mois des élections, la cheffe libérale est presque une étrangère pour les libéraux eux-mêmes, comment arrivera-t-elle à apprivoiser les électeurs, qui risquent au surplus d’être un peu déboussolés par le virage progressiste et vert foncé qu’elle veut faire prendre au PLQ ?
Malgré les remous causés par l’expulsion de Marie Montpetit et le climat toxique qui règne au sein du caucus, le leadership de Mme Anglade n’est pas sérieusement menacé. Même si on le voulait, il est trop tard pour songer à la remplacer. C’est après l’élection du 3 octobre 2022 que les couteaux vont voler bas, si le parti n’a pas fait de progrès important à défaut de reprendre le pouvoir.
Le congrès de la fin de semaine devait prendre bien soin de ne pas aggraver les divisions qui résultent de la nécessité de se rapprocher de l’électorat francophone, alors que la base du PLQ est surtout constituée d’anglophones et d’allophones.
Les sujets discutés en fin de semaine ont été soigneusement « priorisés », c’est-à-dire choisis, par la commission politique et l’aile parlementaire. Plusieurs des propositions adoptées ne manquent pas d’intérêt, mais le silence total sur la situation du français ou le statut du Québec au sein de la fédération canadienne était éloquent. Il est assez étonnant de prétendre « Oser l’avenir » sans s’assurer qu’il y en aura un, mais il fallait à tout prix éviter un couac pendant qu’on tournait.
Mme Anglade a longuement insisté sur la tradition et les 154 ans d’histoire du PLQ, mais les récentes années de pouvoir sous la gouverne de Jean Charest et de Philippe Couillard ont été complètement effacées.
On a plutôt demandé à son ancien lieutenant, Ronald Poupart, de faire le pont avec les années de Robert Bourassa, qui font maintenant figure d’âge d’or. Il a dû s’excuser intérieurement de le présenter comme le père spirituel de la cheffe actuelle.
À l’entendre, l’ancienne présidente de la CAQ serait une authentique sociale-démocrate finalement sortie du placard. Si François Legault est de la « gauche efficace », on apprendra peut-être un jour que le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, est en réalité un disciple de Jack Layton !
Il peut sembler caricatural de dire que le PLQ cherche à doubler QS sur sa gauche, mais plusieurs propositions n’auraient pas déparé un congrès solidaire. On a même renchéri. Alors que QS voudrait bâtir 50 000 logements sociaux, les libéraux n’en proposent pas moins de 200 000. Un délégué qui se demandait si cet objectif était bien réaliste, et sur quoi on s’était basé pour le fixer, s’est vu simplement répondre qu’« au PLQ, on est audacieux ».
Ce n’est pas la première fois que les impératifs électoraux font temporairement redécouvrir aux libéraux la nécessité de faire preuve d’empathie envers les plus défavorisés. C’est même une sorte de réflexe, que Philippe Couillard n’avait malheureusement pas eu en 2018, quand il avait déclaré qu’une famille pouvait très bien se nourrir avec 75 $ par semaine.
En 1998, Jean Charest avait commis une erreur coûteuse en se réclamant de l’Ontarien Mike Harris, qui recommandait le « baloney » aux bénéficiaires de l’aide sociale. Il avait rajusté le tir en prévision de l’élection suivante. « La compassion, chers amis, ce sera le mot d’ordre, le cheval de bataille du PLQ », avait-il lancé devant 600 militants réunis dans un brunch-bénéfice dans l’est de Montréal. Une fois devenu premier ministre, il s’était plutôt empressé d’entreprendre une « réingénierie » de l’État.
Il n’a pas été question de langue en fin de semaine, même si la communauté anglophone est notoirement mécontente de l’accueil positif que le PLQ a réservé au projet de loi 96 du gouvernement Legault.
Personne n’a voulu lancer le débat sur le plancher du congrès, a expliqué Mme Anglade, qui a réitéré, en anglais, la volonté de son parti de « renforcer la langue française », faisant valoir que l’élection d’un gouvernement libéral demeurait néanmoins plus avantageuse pour les anglophones.
En guise de prix de consolation, les délégués ont résolu de protéger l’autonomie des commissions scolaires anglophones, qui demeurent l’ultime bastion de la communauté. Les anglophones ne voteront pas pour la CAQ. La question est plutôt de savoir dans quelle proportion ils bouderont les urnes.
L’appartenance au Canada fait toujours partie des « valeurs libérales », mais on s’est bien gardé d’ouvrir la discussion sur une quelconque réforme du fédéralisme. Mme Anglade a simplement assuré que les demandes constitutionnelles du PLQ seront connues d’ici la prochaine élection.
En attendant, elle renvoie les intéressés au document pour le moins timide intitulé Québécois, notre façon d’être Canadiens, que le gouvernement Couillard avait publié en juin 2017. On peut déjà prévoir que le sujet occupera la plus petite place possible dans la plateforme libérale.