À qui la faute?
Il y a au moins 800 000 Québécois qui partagent l’exaspération du premier ministre Legault face à l’impossibilité de trouver un médecin de famille, alors que le Québec compte plus de médecins par 100 000 habitants que le reste du Canada.
Les médecins — surtout les spécialistes — ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils ont considérablement baissé dans l’estime de la population au cours des dernières années. Personne ne remet leur compétence en question, mais à les voir exiger toujours plus d’argent, il n’est pas étonnant que plusieurs doutent de leur conscience sociale. Le bon docteur Jérôme des Belles histoires des pays d’en haut ne fait plus partie de l’imaginaire collectif.
Il est évident qu’un bon nombre de médecins ne prennent pas suffisamment de patients en charge, mais il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas été encouragés à le faire par les gouvernements eux-mêmes. S’ils passent près de 40 % de leur temps à l’hôpital, par rapport à 20 % en Ontario, c’est qu’on les y a forcés au départ.
En 1993, le ministre de la Santé de l’époque, Marc-Yvan Côté, a imposé aux médecins débutants et à ceux qui avaient moins de dix ans de pratique ce qu’on appelle dans le jargon médical les « activités médicales particulières » (AMP) à l’hôpital : urgence, suivi de patients hospitalisés, CHSLD, etc. La liste est interminable. Cela pouvait sans doute se justifier par la nécessité de prévenir des ruptures de service dans les hôpitaux, mais cela a eu pour effet de dépeupler les bureaux médicaux extérieurs, dont plusieurs ont carrément fermé leurs portes.
Devenu à son tour ministre de la Santé dans le gouvernement Landry, François Legault a fait adopter le projet de loi 142 sur la répartition des médecins. Tous les médecins de famille devaient faire des AMP, sous peine de voir leur rémunération amputée de 30 %.
Au prix où il est payé, un médecin peut vivre confortablement sans travailler cinq jours par semaine, et plusieurs font le choix de consacrer plus de temps à leur famille ou à leurs loisirs. On peut le déplorer, mais ils ne sont pas les seuls à le faire.
L’image du médecin qui se la coule douce est tenace. Un sondage mené en 2017 par l’Association médicale canadienne (AMC) auquel avaient répondu 7184 médecins, dont 919 au Québec, indiquait qu’ils travaillaient sensiblement le même nombre d’heures par semaine au Québec (49) qu’au Canada (50,5).
En revanche, les médecins québécois voyaient en moyenne nettement moins de patients par semaine (64) qu’en Ontario (80), en Colombie-Britannique (82) ou en Alberta (83). Manifestement, ils passent trop de temps à l’hôpital. Il y a un déséquilibre dans l’organisation du travail au sein du réseau sur lequel Christian Dubé devra se pencher.
D’une manière ou d’une autre, les médecins doivent faire partie de la solution. La manière forte est tentante, mais l’exemple des infirmières a bien démontré que la coercition ne donne pas nécessairement les résultats escomptés.
Encore faut-il que les médecins soient prêts à collaborer. Quand Gaétan Barrette a voulu leur forcer la main avec les pénalités prévues par la loi 20, ils se sont engagés à régler le problème eux-mêmes. Force est de constater qu’ils n’ont pas respecté leurs promesses.
Les gouvernements sortent rarement gagnants d’une confrontation avec les médecins. M. Barrette, qui encourage aujourd’hui le premier ministre Legault à ressortir le bâton, a parfaitement démontré lors de son passage à la présidence de la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ) l’efficacité des moyens dont ils disposent pour se défendre, y compris le chantage à l’exode. C’est à se demander si l’ancien ministre ne souhaite pas que le gouvernement se casse les dents.
Ce dernier a dû renoncer à forcer les travailleurs de la santé à se faire vacciner, de peur que leur suspension provoque des ruptures de service catastrophiques. On n’ose imaginer ce qui se produirait si les médecins décidaient d’appliquer les freins.
M. Legault dit avoir en main les données qui lui permettraient de cibler ceux dont il estime la contribution insuffisante, peut-être avec raison, mais il est à prévoir que la profession réagira en bloc si certains de ses membres sont attaqués.
On peut comprendre l’impatience du premier ministre, qui avait promis que tous les Québécois auraient accès à un médecin de famille avant la fin de son premier mandat. À moins d’un an de la prochaine élection, il devient urgent de faire quelque chose.
Pour le moment, le gouvernement a l’appui de l’opinion publique, mais elle pourrait se retourner rapidement contre lui si les choses tournaient mal. Elle a fait preuve d’indulgence quand il a capitulé devant les opposants à la vaccination, mais le gouvernement n’a pas le luxe de perdre la face une autre fois.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.