Xi, maître de la pensée

La nouvelle est passée presque inaperçue à l’étranger la semaine dernière. Le ministère chinois de l’Éducation a annoncé l’incorporation, à tous les niveaux d’étude en Chine, de l’enseignement obligatoire de la « pensée Xi Jinping », qui commencera dès l’école primaire en septembre.

Dans sa forme courte, ça s’appelle la Xí Jìnpíng Sīxi ng, la pensée Xi Jinping. Dans sa forme longue : « La pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise dans la nouvelle ère. »

On savait déjà que l’idéologie et les écrits de l’actuel président chinois avaient été élevés au rang de principes constitutifs du programme du Parti communiste. Mais on assiste ici à un pas de plus dans la centralisation et la personnalisation du pouvoir en Chine. Ce culte effréné de la personnalité est aussi l’affirmation impérieuse d’une tyrannie qui explique à tous qu’il serait suicidaire de vouloir la défier.

Le régime de Xi Jinping va beaucoup plus loin que celui de tous les présidents qui l’ont précédé — sauf Mao Zedong — en élevant le discours du président, la pensée du chef, au rang de parole d’évangile.

On se rappelle le Petit livre rouge de Mao, que tous étaient tenus de réciter et de brandir comme un talisman, à l’époque meurtrière de la Révolution culturelle (années 1960 et 1970). On assiste aujourd’hui à une forme plus avancée de cette même volonté de contrôle totalitaire, mais s’appuyant sur une technologie inouïe (reconnaissance faciale, réseaux sociaux tenus en laisse, téléphone-mouchard dans la poche de chaque sujet, etc.), que George Orwell n’aurait jamais pu imaginer.

L’enseignement de la « pensée Xi Jinping » va commencer à l’âge le plus tendre, dès les premières années du primaire. Un programme d’endoctrinement à vaste échelle, qui vise à tuer dans l’œuf toute velléité de pensée politique autonome. Dit plus délicatement par le ministère de l’Éducation, dans son communiqué du 24 août : « La pensée Xi Jinping aidera les jeunes à installer en eux des convictions marxistes et l’amour de la patrie. »

Après 1949, le pouvoir chinois a toujours été une dictature, mais elle avait connu une atténuation réelle durant les décennies 1990 et 2000. Durant cette période, c’est une « direction collective » qui était aux commandes ; le mandat du président était limité à dix ans.

Une timide société civile émergeait, menant par exemple des combats écologiques qui trouvaient écho dans quelques journaux (le fameux Nánfāng Zhōumò, ou « Week-End du Sud », devenu un moment le cauchemar du régime). On y flirtait avec des idées comme l’adhésion de la Chine à des valeurs universelles, ou encore la nécessité d’un pouvoir judiciaire indépendant, voire d’un « État de droit ».

La décennie Xi Jinping a écrasé tout cela. Dès son arrivée en 2012 comme secrétaire général, puis en 2013 comme président, il a commencé par faire le ménage parmi ses rivaux au sommet, sous couvert d’une « lutte contre la corruption » sélective. Les médias semi-indépendants ont été mis au pas.

C’est à partir de 2015 que la personnalisation du pouvoir s’affirme. Fin de la limitation des mandats (présidence à vie). Déclaration au congrès d’octobre 2017 de la « pensée Xi Jinping » comme fondement du programme du parti. En mars 2018, l’Assemblée nationale populaire inscrit la référence à la « pensée Xi Jinping » dans la Constitution chinoise.

À partir de 2019-2020 apparaissent des instituts voués à l’étude des différents aspects de cette pensée sublime. On inaugure à Pékin en 2020 un centre d’études de la diplomatie de Xi Jinping. Et puis un autre sur sa « pensée juridique ». Il y a quelques semaines, on a annoncé un institut qui va étudier, lui, la pensée économique du leader suprême.


 
 

Malgré ses manières choquantes, cette propagande permet de lire le programme de Xi pour la Chine et le reste du monde. Il y a une certaine transparence dans le despotisme…

Dans la « pensée juridique » de Xi transparaît l’idée d’un pouvoir politique total et centralisé, qui soumet les instances juridiques, les cours, les lois, aux impératifs du Parti communiste.

Dans la « pensée diplomatique » telle qu’on l’enseigne aujourd’hui, on voit clairement l’affirmation d’une Chine émergente, jadis humiliée (thème obsessionnel), mais qui se lève et ne se laissera plus jamais faire. Elle s’affirme aux quatre coins du monde, met le commerce au service de la puissance diplomatique, etc.

Idem dans la pensée économique. Là, c’est l’obsession d’une plus grande autonomie nationale face aux circuits commerciaux : l’affaire de Huawei dépendant des microprocesseurs américains est citée comme l’exemple d’erreur stratégique à ne plus répéter. Autosuffisance, consommation intérieure, « croissance qualitative », maîtrise des technologies de pointe comme avantage stratégique, etc.

La « pensée » de Xi Jinping le tout-puissant, l’égal historique de Mao, passé devant Deng Xiaoping, est le glaive d’un pouvoir intérieur incontesté, néototalitaire… et d’un nationalisme de plus en plus menaçant face au reste du monde.

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