Le difficile acte de foi

« Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

— Jean de La Fontaine, Les animaux malades de la peste

La confiance est un élément essentiel de la démocratie. Pour accepter de se plier à ses règles, la population doit croire à l’intégrité des institutions comme à celle du processus électoral. Il y a cependant des moments où cette confiance exige un acte de foi bien difficile. Quand la justice et l’apparence de justice semblent trop souvent différer, le doute finit par s’installer.

Même si elle reconnaît ne pas avoir cru à sa version des faits, la juge Mélanie Hébert a été incapable de conclure en son âme et conscience à la culpabilité de Gilbert Rozon « hors de tout doute raisonnable », ce corollaire de la présomption d’innocence qui est un des fondements de notre régime de droit. Il n’y a aucune raison de douter de la justesse légale de sa décision et comme disait Voltaire : « Il faut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »

Dans l’entrevue qu’elle a accordée à La Presse après le verdict, la plaignante, Annick Charette, a confié que la disproportion des forces en présence avait suscité en elle « une réflexion sur la justice des riches ». Face à l’ampleur des moyens déployés à grands frais par la défense, le procureur de la couronne semblait bien démuni. Bien des gens ont dû avoir la même pensée. Soit, notre système judiciaire est mal adapté aux crimes de nature sexuelle, mais un accusé moins fortuné aurait-il été acquitté ? Peut-être bien, mais comment ne pas se poser la question ?

  

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, est un autre beau cas de figure. Depuis son entrée en politique, il viole sciemment et à répétition le code d’éthique des élus de l’Assemblée nationale. La semaine dernière, le rapport de la commissaire Ariane Mignolet était accablant, mais le premier ministre Legault a choisi de passer l’éponge, eu égard à l’importance de M. Fitzgibbon dans son gouvernement.

En conclusion de son rapport, Me Mignolet a écrit : « Quelles que soient la qualité et la quantité du travail effectué par le ministre, que je ne remets d’ailleurs pas en doute, je ne peux retenir son travail comme facteur atténuant. Le respect du code est une partie essentielle à l’exercice des fonctions d’un membre de l’Assemblée nationale, non pas une charge accessoire ». On peut difficilement être plus clair. Il n’y a là aucune place pour le doute raisonnable.

Il serait difficile de prétendre que Jean Charest avait un sens de l’éthique plus développé que M. Legault. Il avait pourtant enjoint à son ministre du Travail, David Whissel, de choisir entre son poste et les intérêts qu’il détenait dans l’entreprise d’asphaltage familiale. Ce dernier a préféré quitter le Conseil des ministres. Personne n’a songé un seul instant à modifier les dispositions du code d’éthique pour l’arranger. À la différence de M. Fitzgibbon, M. Whissel était une quantité négligeable dans le gouvernement de M. Charest, qui pouvait donc se montrer vertueux à peu de frais.

  

L’arrestation du député péquiste de Rimouski, Harold LeBel, visé par une plainte pour agression sexuelle, a causé un choc dans le milieu politique et dans la population en général, tout particulièrement dans le Bas-Saint-Laurent, où il jouissait d’une réputation des plus enviables. La suite de cette triste histoire sera certainement riche d’enseignements.

Il ne fait encore face à aucune accusation, même si son arrestation laisse penser que les allégations à son endroit sont sérieuses. S’il finit par être accusé, jugé et condamné, on dira avec raison que justice a été faite. On peut imaginer le malaise de la députée qui serait la plaignante, forcée de le côtoyer depuis trois ans.

Une agression sexuelle est un crime beaucoup trop grave pour évoquer le misérable baudet de la fable de La Fontaine, qui paya pour ceux commis par ses congénères plus forts que lui. En sa qualité de membre de l’Assemblée nationale, on serait d’ailleurs porté à ranger M. LeBel dans la catégorie des puissants. Il apparaît néanmoins douteux qu’il ait les moyens de s’offrir des avocats de la même trempe que ceux dont M. Rozon a retenu les services et il n’est qu’un simple député du troisième groupe d’opposition, lui-même formé par un parti dont l’avenir est pour le moins incertain.

Même tempérée par le filet social, l’inégalité des chances est une réalité parfois si choquante qu’elle arrive à faire douter des vertus de la prétendue civilisation. L’inégalité devant la justice ne l’est pas moins.
 



Une version précédente de ce texte, qui indiquait que David Heurtel (plutôt que David Whissel) devait choisir entre son poste et les intérêts qu’il détenait dans l’entreprise d’asphaltage familiale, a été modifiée.

 

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