Le récidiviste

En avril 2019, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, avait déclaré qu’il démissionnerait s’il devenait un boulet pour le gouvernement Legault. Il n’en a rien fait, mais ses manquements à répétition aux règles d’éthique commencent à être sérieusement embarrassants. Le dynamisme qu’on lui reconnaît ne peut pas excuser une telle désinvolture.

Pour une deuxième fois en un mois, la commissaire à l’éthique et à la déontologie, Ariane Mignolet, a présenté cette semaine un rapport d’enquête détaillé et accablant qui conclut que M. Fitzgibbon a contrevenu à trois articles du code d’éthique relatifs aux conflits d’intérêts et recommande qu’il soit sanctionné. Cette fois-ci, le gouvernement Legault a choisi de le défendre, mais les fautes qui lui sont reprochées n’en sont pas moins graves.

Il a conservé des intérêts dans des entreprises faisant des affaires avec l’État dont il aurait dû se départir. Des courriels font état de l’achat par une de ces entreprises de forfaits offerts par son ministère. Certes, une demande d’aide financière à Investissement Québec lui a été refusée à la suite d’une intervention de M. Fitzgibbon, que la commissaire lui avait d’ailleurs déconseillée. Six subventions ont été accordées par Emploi-Québec à une autre entreprise avant qu’il se départe des intérêts qu’il y détenait.

Manifestement, cela ne le trouble aucunement. « Le ministre m’informe qu’il ne voit aucun problème à conserver des intérêts dans des entreprises hors Bourse qui ont des marchés avec le gouvernement, un ministère ou un organisme public. Il mentionne que s’il était saisi du dossier de l’une de ces entreprises, il se retirerait d’une prise de décision la concernant », écrit la commissaire dans son rapport.

Qui plus est, « il ressort de l’enquête que le ministre n’a pas informé son sous-ministre du nom des entreprises dans lesquelles il détenait des intérêts et ne lui a pas donné de consignes particulières advenant qu’une telle entreprise dépose une demande au ministère. Selon le directeur de cabinet du ministre, aucune mesure formelle n’a été mise en place ». Sans parler des « sept ou huit compagnies à numéro » qu’il n’avait pas jugé utile de mentionner dans sa déclaration d’intérêt.

On avait beau savoir que M. Fitzgibbon se fichait complètement du code d’éthique, sa façon cavalière, pour ne pas dire méprisante, de traiter la commissaire, dont il met la compétence en doute, est indigne d’un parlementaire. Il n’a offert aucune collaboration à son enquête, estimant avoir mieux à faire.

Le ministre considérait sa déclaration d’intérêt comme une entreprise évolutive qu’il complétait à sa convenance. « Le ministre n’a pas agi comme l’aurait fait une personne diligente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances pour répondre adéquatement au formulaire de déclaration, puis aux demandes du Commissaire relativement aux liens des entreprises avec le gouvernement, un ministère ou un organisme public », peut-on lire dans le rapport. Autrement dit, il avait caché des choses.

De toute évidence, il ne se sent pas concerné par les règles qu’appliquent les 124 autres députés. À deux reprises, il a déclaré à la commissaire que cela ne le dérangeait pas qu’elle le « mette en manquement » et lui adresse un blâme. Après deux ans en politique, il ne semble toujours pas encore avoir compris que son nouvel emploi lui impose de nouvelles obligations. Ou il ne veut pas le comprendre. Il est pour le moins étonnant d’apprendre qu’il n’avait pas jugé utile de lire le code d’éthique.

La commissaire reconnaît volontiers que le code n’est pas « adapté pour les affaires », comme le déplore M. Fitzgibbon. Précisément, tel n’est pas son objectif. Son but est plutôt de maintenir la confiance de la population envers ses élus et les institutions démocratiques. Il est bien possible que certaines modifications doivent lui être apportées, ce qui ne sera pas une mince affaire, mais bien des gens estiment eux aussi qu’une loi est mal adaptée à leur situation et sont néanmoins tenus de la respecter.

Siéger à l’Assemblée nationale est une lourde responsabilité, mais aussi un privilège qui peut exiger certains sacrifices financiers. Pierre Karl Péladeau croyait aussi que le code d’éthique le plaçait face à un choix impossible entre son désir de faire de la politique et celui de conserver l’empire médiatique dont il avait hérité. À l’époque, la CAQ et son chef étaient cependant intraitables : en matière de confits d’intérêts, c’était tolérance zéro, le chef du PQ devait choisir entre les deux.

Voir le premier ministre passer l’éponge sous prétexte que le Québec a besoin de l’expertise du ministre de l’Économie laisse perplexe. Personne ne l’a forcé à se lancer en politique et personne n’est irremplaçable. La commissaire est catégorique : « Quelles que soient la qualité et la quantité de travail effectué par le ministre, que je ne remets d’ailleurs pas en doute, je ne peux retenir son travail comme facteur atténuant. Le respect du code est une partie essentielle à l’exercice des fonctions d’un membre de l’Assemblée nationale, non pas une charge accessoire. »

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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