Élisabeth Borne pourra-t-elle demeurer première ministre?

Les lendemains de veille ne sont pas toujours faciles en politique. La France était à peine remise du coup de semonce adressé dimanche par les électeurs à la majorité présidentielle que la politique reprenait aussitôt ses droits. La première ministre, Élisabeth Borne, présidant depuis dimanche un gouvernement minoritaire qui, avec seulement 245 élus, n’a plus de majorité pour gouverner, la macronie réunissait lundi ses troupes à l’Élysée afin d’arrêter la stratégie à suivre. À commencer par savoir si elle devrait changer de premier ministre.
Toute la journée, les appels à la démission se sont multipliés, venant de tous les partis d’opposition. « Emmanuel Macron doit tenir compte du résultat de ces élections, il doit changer de ligne politique, changer de premier ministre et de gouvernement », martelait l’ancienne candidate de la droite Les Républicains (LR) à la présidentielle, Valérie Pécresse. Même son de cloche au Rassemblement national (RN) qui, avec 89 élus, est le parti qui a enregistré le plus de gains dans ces élections législatives. Il sera « difficile » pour Élisabeth Borne de gouverner en l’état, a estimé son vice-président, Louis Aliot. « Mme Borne a été envoyée au carton. Elle doit partir, elle n’a plus l’autorité nécessaire pour être première ministre. Son sort est scellé », a tranché le député de La France insoumise (LFI) Alexis Corbière.
Aucune décision n’a cependant filtré de la réunion qui s’est tenue lundi à l’Élysée entre la première ministre et le président, à laquelle assistaient aussi François Bayrou et Édouard Philippe, respectivement patrons du MoDem et d’Horizons, tous deux membres de la majorité. Sérieusement fragilisée, la première ministre doit prononcer le 5 juillet prochain sa déclaration de politique générale. À cette occasion, elle devrait faire face à une motion de censure, si l’on en croit l’annonce faite par les Insoumis dès dimanche soir. Il n’est cependant pas certain qu’une majorité soit prête à la voter puisque ni les élus du RN et encore moins ceux de LR ne se préparent à suivre les Insoumis dans cet exercice. Même à gauche, l’unanimité n’est pas de mise. « Ce n’est pas une position commune de la NUPES à ce stade », a précisé le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure.
Le premier parti d’opposition
Au moment où les premiers députés élus la veille commençaient à arriver au Palais Bourbon, la lutte était déjà engagée pour savoir qui représentait la première force d’opposition en chambre. Dès la matinée, dans son fief d’Hénin-Beaumont, dans le Nord–Pas-de-Calais, où elle a été largement réélue, la présidente du RN, Marine Le Pen, s’empressait de confirmer à la presse qu’elle prendrait elle-même la tête du groupe parlementaire du RN, qu’elle considère comme le premier groupe d’opposition à l’assemblée.
Avec ses 89 députés, dix fois plus que dans la précédente assemblée, le RN représente en effet la deuxième force politique, devant le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise (LFI), qui n’arrive qu’en troisième position avec 72 élus. Certes, avec ses 131 députés, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), dirigée par Mélenchon et regroupant les Insoumis, les écologistes, les socialistes et les communistes, pourrait prétendre au titre de premier groupe d’opposition. Mais cette simple alliance électorale n’est pas ce qu’on appelle un groupe parlementaire.
C’est pourquoi, lundi, après avoir jugé les résultats de la veille « assez décevants » pour la gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui se voyait depuis des semaines premier ministre, a proposé au pied levé que la NUPES se constitue « en un seul groupe au Parlement ». Une proposition spontanée, qui a étonné ses propres militants et qui fut aussitôt rejetée par les trois autres partis de cette alliance électorale. Chaque parti rappelant que le rôle de cette alliance temporaire était justement de permettre à chacun d’entre eux de constituer un groupe à l’Assemblée. « La gauche est plurielle, elle est représentée dans sa diversité à l’Assemblée nationale. […] Vouloir supprimer cette diversité est une erreur », a déclaré la présidente du groupe socialiste, Valérie Rabault.
Et la Commission des finances ?
Derrière ces rivalités se cache la lutte pour savoir qui présidera les commissions de l’assemblée, dont l’influente Commission des finances, aujourd’hui dirigée par l’ancien député LR Éric Woerth, rallié à Emmanuel Macron. Traditionnellement, cette commission a toujours été présidée par le premier groupe d’opposition à l’assemblée. L’enjeu est de taille puisque la commission, qui joue un rôle stratégique dans la préparation du budget, peut auditionner le ministre de l’Économie et même lever le secret fiscal d’une entreprise.
À la tête du premier groupe d’opposition, Marine Le Pen en a aussitôt revendiqué la présidence. Quelques heures plus tard, Clémentine Autain, de la NUPES, faisait de même en affirmant que « ce n’est pas le plus gros groupe d’opposition, mais la candidature qui reçoit le plus de suffrages » qui peut revendiquer la présidence de cette prestigieuse commission.
Pour le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, cette présidence revient de droit au RN, même si, dit-il, « ça me choquerait » de voir Marine Le Pen à la tête de la Commission des finances. Mais, dit-il, « la Constitution s’impose à nous, il ne faut jamais jouer avec les éléments constitutionnels ».
Alors que les travaux de l’Assemblée débuteront le 28 juin, l’élection des présidents de commissions doit se tenir le 30 juin. D’ici là, on devrait en savoir plus sur la façon dont Emmanuel Macron entend nouer des alliances, soit de manière ponctuelle, soit en proposant un pacte de gouvernement à un autre parti. Le seul compatible serait Les Républicains, dont les 61 députés redonneraient une majorité absolue (fixée à 289 sièges) au président. Talonné toute la journée à ce propos, le président des Républicains, Christian Jacob, a répété qu’il n’était « question ni d’un pacte, ni d’une coalition, ni d’un accord de quelque forme que ce soit ».
Mardi et mercredi, Emmanuel Macron recevra les représentants politiques qui formeront un groupe à l’Assemblée afin, dit-on, de « dialoguer et d’échanger pour l’intérêt supérieur de la nation ». Remaniement, nomination d’un nouveau premier ministre, accord politique ? Il reste environ une semaine au gouvernement pour déterminer comment il entend faire adopter ses réformes par une assemblée qui, durant les cinq prochaines années, risque de lui être largement hostile.