Vers un affaiblissement de l’influence française en Europe?

« On attend de voir » : le revers électoral subi dimanche par le président Emmanuel Macron pourrait conduire à un affaiblissement de l’influence de la France sur la scène européenne dont l’amplitude reste pour l’heure difficilement mesurable, soulignent analystes et observateurs.
Depuis son élection en 2017, et plus encore depuis le départ de la chancelière allemande Angela Merkel fin 2021, M. Macron s’est imposé comme l’homme fort de l’Union européenne (UE), multipliant les initiatives en faveur de sa relance sur fond de montée des nationalismes et de progression des partis populistes et eurosceptiques.
Sa réélection pour cinq ans le 24 avril dernier face à la candidate de l’extrême droite Marine Le Pen avait dans ce contexte été saluée par les capitales européennes, qui avaient insisté sur « le besoin d’une Europe forte et solidaire » face aux défis aussi bien géopolitiques que climatiques.
Moins de deux mois plus tard, c’est la douche froide : le camp de M. Macron ressort sonné des élections législatives, privé de majorité absolue, de marge de manoeuvre pour gouverner et engager des réformes, et aux prises avec une percée historique de l’extrême droite.
Ces résultats « affectent la crédibilité politique du président » et, par ricochet, ont « un impact négatif sur son influence sur la scène européenne », selon l’analyse de Thierry Chopin, conseiller spécial à l’institut de recherche européen Jacques Delors.
Certes, « d’un strict point de vue institutionnel, les questions européennes restent une prérogative forte du président, et il va conserver un pouvoir important dans ce domaine », ajoute-t-il. Mais « si le gouvernement et le président sont gênés, voire empêchés, de mener à bien des réformes structurelles attendues par leurs partenaires européens, cela pourrait avoir un effet négatif ».
Même analyse à Rome, où l’eurodéputé italien et ex-secrétaire d’État aux Affaires européennes Sandro Gozi ne s’attend pas « dans l’immédiat » à voir un changement de « l’action extérieure de Macron ».
« Un changement de la politique étrangère française est presque impossible, mais un affaiblissement est probable », précise Paolo Mattera, professeur d’histoire contemporaine à l’Università Roma Tre.
Au lendemain du scrutin, l’heure est plus aux conjectures qu’aux certitudes tant il est difficile de dire avec précision quel en sera l’impact, alors que la France assure la présidence tournante de l’UE jusqu’au 30 juin.
De nombreuses questions restent en suspens, notamment sur le rôle qu’entendent jouer le Rassemblement national (RN) ou la gauche radicale dans les débats à venir sur l’UE.
« On voit des tendances dans d’autres États membres où un certain nombre de forces tendent à détruire l’UE de l’intérieur », relève Tara Varma, du groupe de réflexion European Council on Foreign Relations.
« C’était le programme affiché par [la candidate d’extrême droite] Marine Le Pen quand elle voulait être présidente ; aujourd’hui, avec près de 90 députés, est-ce que lutter contre l’UE va rester le coeur de son action ? C’est une question que se posent beaucoup d’Européens. »
« Pas de cadeau »
Si le RN décide d’engager un bras de fer, les échanges pourraient être musclés, que ce soit sur la question de la potentielle révision des traités européens, la transposition des directives ou encore la ratification d’accords commerciaux.
« Il va y avoir fort à faire avec des groupes qui ne sont pas connus pour leur sympathie européenne », confirme Pascale Joanin, de la Fondation Robert Schuman.
Pour Thierry Chopin, « aucune des forces d’opposition » n’a « d’intérêt politique à faire de cadeau au président sur les sujets européens » compte tenu des élections européennes de 2024 à venir.
Mais, tempère-t-il, « ce n’est pas parce que l’Assemblée nationale est ce qu’elle est aujourd’hui » que le programme européen de M. Macron « va être absolument bouleversé, cela risque juste d’être plus complexe et de prendre plus de temps qu’avant ». Cela pourrait être le cas notamment sur la question délicate de l’élargissement du bloc à de nouveaux États membres.
Sur ce point, le RN pourrait « imposer un débat politique qui serait aux antipodes du gouvernement actuel », relève Tara Varma, au « risque de créer de la confusion » et de brouiller le message en provenance de France.
Une fois la période d’adaptation passée, il n’est toutefois pas exclu que l’exécutif parvienne à limiter la casse, comme d’autres pays européens où le poids du Parlement et les recherches de coalition sont le lot quotidien depuis des décennies.
Pour un diplomate européen, « cela pourrait être un mal pour un bien ».
« On a pu reprocher à la France de ne pas trop écouter les autres, d’agir de manière solitaire et d’essayer de créer le consensus ensuite », souligne-t-il. « Là, Emmanuel Macron va être obligé de dialoguer davantage avec les autres forces politiques en France. Et cela pourrait le faire dialoguer davantage avec les États membres. »