Le bac français survivra-t-il à la COVID-19?

En deux siècles d’existence, le nombre de lauréats à cet examen est passé de 31 à 710 000!
Photo: Christophe Archambault Agence France-Presse En deux siècles d’existence, le nombre de lauréats à cet examen est passé de 31 à 710 000!

Depuis la disparition du service militaire, c’était le dernier grand rite collectif français. Mais survivra-t-il à l’épidémie ? Rien n’est moins sûr.

Chaque année, plus de 700 000 finissants du lycée passent le baccalauréat, un examen qui équivaut grosso modo à notre diplôme d’études collégiales (DEC). Sauf qu’à la différence de ce dernier, qui ne comprend qu’une seule épreuve uniforme de français, le bac en comprend une demi-douzaine. Pendant trois semaines, les finissants se présentent donc simultanément le même jour pour passer la même épreuve nationale de mathématiques, d’histoire-géographie, de philosophie, d’éducation physique et de nombreuses autres matières optionnelles qui peuvent inclure aussi bien la chimie, le latin que le tamoul et le corse. L’examen de français, lui, ayant été passé exactement de la même manière à la fin de l’année précédente.

Qu’ils soient à Paris, à Ajaccio ou à Nantes, les élèves sont donc soumis à la même question de philosophie, au même problème de mathématiques et au même sujet de dissertation. Qualifiée de « monument national » par l’ancien ministre Jack Lang, l’opération mobilise chaque année tout le personnel scolaire et des milliers de correcteurs, les copies étant évidemment anonymes.

À l’épreuve de la COVID-19

Inutile de dire que l’an dernier, en pleine seconde vague de COVID-19, le baccalauréat fut annulé. Une première, puisque même pendant les deux guerres mondiales, les épreuves de cet examen conçu en 1808 sous Napoléon avaient été maintenues. Pour la première fois, les finissants ont été évalués en contrôle continu. Résultat : 96 % des élèves ont décroché le diplôme ! Un taux de réussite jamais vu et pour le moins surprenant alors que, selon tous les experts, l’enseignement à distance n’a pas manqué d’avoir un effet à la baisse sur le niveau des élèves. Il faut dire que le ministre avait incité les correcteurs à faire preuve de « bienveillance ». Pour le reste, comme au Québec, des « commissions d’harmonisation » se sont chargées de relever les notes.

Si nous considérons qu’au nom de la justice chacun doit avoir le droit de réussir le baccalauréat, à quoi bon pérenniser ce qui n’est plus qu’un simulacre ?

 

Cette année, seul l’examen de philosophie a été maintenu, ainsi que le « grand oral », une nouvelle épreuve où l’élève présente devant jury et discute de deux sujets choisis à l’avance avec ses professeurs. Même l’épreuve de philosophie, la plus symbolique de toutes et qui ouvre normalement cette période d’examens, ne s’est pas tenue normalement. Le ministre Jean-Michel Blanquer avait décidé que la note de l’examen ne serait retenue que si elle était supérieure à la moyenne de l’élève durant l’année.

Profitant de cette conjoncture tout à fait exceptionnelle, le ministre a annoncé le 28 juin dernier que l’on ne reviendrait pas aux épreuves traditionnelles et qu’il passerait « à une logique de contrôle continu plein et entier ». Même s’il évoque une « régénération du baccalauréat » et précise que le contrôle continu ne comptera que pour 40 % de la note finale, nombreux sont ceux qui craignent que la cuvée 2019 ait été la dernière à connaître ce grand rite de passage qu’a toujours été le bac en France.

Immobilisme ou égalité ?

Il n’en fallait pas plus pour soulever la colère du Syndicat national de l’enseignement secondaire (SNES), qui a toujours défendu pour des raisons d’équité la nécessité d’un examen uniforme, national et anonyme.

Symbole pour les uns de « l’immobilisme politique en matière d’éducation », comme l’écrit notre confrère du Monde Mattea Battaglia, le baccalauréat a toujours été défendu bec et ongles par ses partisans comme un symbole d’égalité républicaine. Pour ses opposants, il ne serait pourtant qu’un « examen guillotine » qui crée un stress inutile et défavorise les élèves en difficulté.

Aujourd’hui, le bac n’a pourtant plus grand-chose à voir avec cet examen né sous l’Empire, alors que Napoléon réorganisait tout l’appareil d’État et créait en même temps la licence et le doctorat. En deux siècles, le nombre de lauréats est passé de 31 à 710 000 ! La démocratisation scolaire étant passée par là, les diplômés, qui n’étaient que de 10 % d’une classe d’âge en 1959, en représentent aujourd’hui 87 %. L’opération coûte chaque année environ un milliard et demi d’euros. Il faut dire que les seules épreuves de langue sont au nombre de 58.

Jean-Michel Blanquer n’est pas le premier à vouloir réformer le baccalauréat ; grâce à la COVID-19, il pourrait cependant être le seul à y parvenir. D’Alain Savary (1981) à François Fillon (2005), en passant par Lionel Jospin (1989) et Claude Allègre (1999), la plupart de ses prédécesseurs s’y sont cassé les dents.

Sans toucher au bac, depuis une dizaine d’années, les ministres successifs ont cependant réduit son rôle dans la sélection universitaire. Ce rôle est aujourd’hui dévolu à une plateforme Web appelée Parcoursup qui répartit les étudiants en fonction de leurs demandes et de l’offre universitaire. Une démarche entreprise par les finissants dès le mois de mars, sans même attendre les résultats du bac.

S’il est décerné à tout le monde et s’il n’ouvre plus la porte de l’université, à quoi sert donc ce diplôme ? « La vérité, c’est que l’existence du baccalauréat gênait depuis longtemps les “pédagogistes” pour qui l’émulation est un danger, la sélection, un vice, écrit dans le magazine de droite Valeurs actuelles l’écrivain et animateur télé Frank Ferrand. Tenants d’uneidéologie militante, ces apôtres du Bourdieu et du Passeron des Héritiers (1964) s’imaginent que de telles épreuves sont un moyen pour l’élite d’entretenir sa domination. Il leur fallait donc supprimer non seulement la sélection, mais dans sa dimension verticale la transmission elle-même. »

Deux classes de lycées ?

Les réformes actuelles auraient notamment été inspirées par le groupe de réflexion de gauche Terra Nova dont un rapport critiquait dès 2016 le trop grand nombre d’épreuves ainsi que le caractère national du bac. Les auteurs suggéraient un diplôme d’établissement, comme au Québec. Selon eux, le contrôle continu permettrait de « faciliter la réussite pour les élèves des lycées plus fragiles ». Au contraire, les mêmes épreuves pour tous « conduiraient ces établissements à afficher des résultats moins bons pour leurs élèves et ceux-ci, de fait, auraient moins de possibilités » par la suite dans leurs choix universitaires.

Pour les partisans de l’épreuve nationale, cette solution reviendrait plutôt à créer deux classes de lycées : ceux de haut niveau qui notent sévèrement ; et les autres qui notent de manière plus laxiste, enfermant ainsi dans un ghetto les bons élèves des milieux défavorisés. De plus, « le contrôle continu oblige les professeurs à marchander avec élèves et parents », expliquait dans Le Figaro le professeur de philosophie Adrien Louis.

Pour l’agrégé de philosophie Claude Obadia, un choix s’impose. « Si nous voulons rendre au baccalauréat la valeur qu’il a perdue, écrit-il dans Libération, il ne suffira pas d’en maintenir les épreuves terminales. Il faut relever le niveau des exigences afférentes à cet examen. Si nous considérons qu’au nom de la justice chacun doit avoir le droit de réussir le baccalauréat, à quoi bon pérenniser ce qui n’est plus qu’un simulacre ? »

Année après année, tous les sondages soulignent pourtant le fort attachement des Français à cet examen symbole d’égalité républicaine. Dans Le Figaro, l’historien de l’éducation Claude Lelièvre rappelait que les Français étaient, tous les mois de mai, « le seul peuple à attendre, dans les médias, les sujets du bac de philosophie […] qui chaque année ouvre la messe ». Une tradition qui ne se dément pas, mais qui tire peut-être à sa fin.


Une version précédente de ce texte, qui indiquait que les élèves de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, ont les mêmes épreuves au bac que leurs collègues dans l'Hexagone, a été corrigée.

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