Un trou de 457 minutes dans un registre d’appels qui pourrait compromettre Trump

L’ex-président américain Donald Trump cherche-t-il à dissimuler des preuves compromettantes de son implication dans l’attaque du Capitole et la tentative de coup d’État menée le 6 janvier 2021 à Washington ? C’est la question qui se pose après la découverte cette semaine de l’existence d’un « trou » de sept heures et 37 minutes dans le registre officiel des appels téléphoniques du bureau de la présidence américaine cette journée-là, précisément au moment où les partisans de l’ex-président populiste prenaient d’assaut le dôme de la démocratie. Un vide qui n’est pas sans rappeler les 18 minutes et demie de conversation entre le président des États-Unis Richard Nixon et son chef de cabinet effacées sur les bandes magnétiques de la Maison-Blanche en 1972, au lendemain de l’affaire du Watergate.
On s’en souvient : cette tentative d’espionner le comité national démocrate, orchestrée par le président en exercice, puis les tentatives d’entraver l’enquête sur ces événements ont entraîné la procédure en destitution de Richard Nixon et surtout motivé sa démission en 1974. Quelques mois plus tôt, au cœur de la controverse, Nixon avait assuré aux Américains, dans un discours célèbre livré depuis le Disney’s Contemporary Resort en Floride, qu’il n’était « pas un escroc ».
« À l’évidence, Trump, tout comme Nixon, a quelque chose d’accablant à cacher, résume en entrevue au Devoir l’historien de la politique américaine Sean Wilentz, de l’Université de Princeton. Nixon, c’était sur son implication dans la dissimulation du Watergate et des crimes qui y étaient liés. Trump, c’est sans doute sur sa contribution à l’insurrection qui a donné naissance à sa tentative de coup d’État. »
Selon le Washington Post et le réseau CBS, la commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur l’attaque du Capitole a reçu des Archives nationales, l’organisme responsable de conserver les documents officiels de la présidence, des registres téléphoniques de la Maison-Blanche du 6 janvier qui restent étrangement silencieux sur 457 minutes de cette journée d’émeute.
L’absence de données s’y révèle entre 11 h 17 et 18 h 54, soit la période durant laquelle l’ex-président américain a lancé ses partisans sur le Capitole pour empêcher la certification par le pouvoir législatif du vote confirmant la victoire de Joe Biden à la présidentielle de 2020. Gonflés à bloc par les allégations fallacieuses de fraude électorale portées par le populiste dans les mois ayant précédé le scrutin et au lendemain des élections, les insurgés croyaient ainsi pouvoir maintenir Donald Trump au pouvoir. Ils font face désormais à des accusations criminelles, dont plusieurs se sont soldées par des condamnations. Ce « trou » dans les registres d’appels tranche avec le comportement de Donald Trump, connu pour son rapport frénétique au téléphone, et qui le matin et le soir du 6 janvier a passé plusieurs appels téléphoniques inscrits au registre.
Qui plus est, dans les derniers mois, une série de reportages sur le 6 janvier ont confirmé l’existence d’appels effectués par Donald Trump en plein cœur de l’émeute, dont un effectué par erreur au sénateur Mike Lee de l’Utah — alors que Trump cherchait à parler au sénateur Tommy Tuberville de l’Alabama — et un autre passé au chef de la minorité républicaine à la Chambre, Kevin McCarthy.
Mercredi, une enquête du quotidien britannique The Guardian a même révélé que l’appel reçu par Lee provenait bel et bien de la Maison-Blanche et devrait normalement figurer dans le registre. Ce qui n’est pas le cas.
Camouflage et défense fragile
Ces incohérences pourraient laisser croire à une « possible tentative de dissimulation », a indiqué au Washington Post un membre de la commission d’enquête, et ce, par l’effacement de données ou encore par l’utilisation durant la journée de téléphones prépayés par l’ex-président. Ces téléphones peuvent être utilisés de manière unique, puis détruits par des personnes cherchant à éviter qu’on remonte à l’origine de leurs appels. Un stratagème largement exploité par des criminels.
Concernant cette hypothèse, Donald Trump a indiqué par voie de communiqué cette semaine ne pas connaître l’existence de ce genre de téléphone et « n’en avoir jamais entendu parler ». Une déclaration relevant du mensonge, selon l’ex-conseiller à la sécurité de Donald Trump, John Bolton, qui a assuré sur les ondes de CNN jeudi que Trump avait parlé à plusieurs reprises de ce type de téléphone en sa présence.
« On savait que Donald Trump tentait régulièrement de cacher ses contacts téléphoniques, dit Sean Wilentz. Ces révélations indiquent plus que jamais qu’il a mené sa présidence de la même manière qu’un patron de la mafia dirige une organisation criminelle, en faisant tout ce qu’il peut pour ne pas laisser de traces incriminantes. »
L’an dernier, Donald Trump a invoqué à plusieurs reprises le « privilège de l’exécutif » en ce qui concerne la diffusion de l’information présidentielle afin d’empêcher les Archives nationales de transmettre des documents liés à sa présidence à la commission d’enquête. Un argument rejeté par les tribunaux.À l’évidence, Trump, tout comme Nixon, a quelque chose d’accablant à cacher. Nixon, c’était sur son implication dans la dissimulation du Watergate et des crimes qui y étaient liés, Trump, c’est sans doute sur sa contribution à l’insurrection qui a donné naissance à sa tentative de coup d’État.
En février, ces mêmes Archives ont également fait la découverte de 15 boîtes contenant des documents classifiés dans la résidence privée de l’ex-président en Floride, une prise de possession d’informations confidentielles provenant de la Maison-Blanche et sur laquelle le département de la Justice et le FBI ont été appelés à enquêter.
Poursuites en vue
Ces nouvelles révélations sur une possible tentative d’entrave à l’enquête en cours sur le 6 janvier risquent de resserrer l’étau sur l’ex-président. « Cela aide à établir son état d’esprit avant, pendant et après le 6 janvier et pourrait être crucial pour convaincre le procureur général des États-Unis, Merrick Garland, d’amorcer enfin des poursuites contre l’ex-président », dit Sean Wilentz.
Lundi, un juge de la Californie a mis de la pression sur M. Garland en estimant « qu’il est plus probable qu’improbable que le président Trump ait tenté de manière corrompue de faire entrave à la session du Congrès le 6 janvier 2021 », et ce, dans un jugement portant sur une affaire connexe, soit le refus d’un avocat allié de M. Trump, John Eastman, de transmettre à la commission d’enquête une centaine de courriers électroniques.
M. Wilentz estime que des audiences publiques vont également être nécessaires « pour établir, à l’aide de témoignages faits sous serment, ce que Trump a fait exactement le 6 janvier », et surtout à qui il a parlé. « Ces audiences publiques pourraient susciter des témoignages permettant de faire toute la lumière, y compris sur son utilisation possible de téléphones portables », dit-il.
À l’été 1973, ce sont les audiences publiques de la commission Ervin, chargée d’enquêter sur le scandale du Watergate, qui ont mis au jour l’existence d’enregistrements exhaustifs de chaque rencontre et de chaque conversation de Richard Nixon à la Maison-Blanche. « La partie manquante sur une des bandes n’a été révélée que beaucoup plus tard, ajoute l’universitaire. Mais il a fallu des audiences publiques pour faire bouger les choses. » Cette semaine, la commission du Congrès sur le 6 janvier s’est rapprochée un peu plus de l’ex-président avec l’audience à huis clos de son gendre, Jared Kushner. Il s’est présenté volontairement devant les élus. Le mari d’Ivanka Trump est le plus haut conseiller de Donald Trump et le premier membre de la famille du républicain à répondre ainsi aux questions de cette commission.
Après plus d’un an d’existence, la commission avance doucement vers sa conclusion, avec des auditions publiques qui devraient être tenues dans les prochaines semaines.