Kennedy sous le regard de Norman Mailer

Plus de 50 ans après sa mort, John F. Kennedy, dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance, le 29 mai prochain, représente encore une sorte de « mesure étalon » de la jeunesse, de la nouveauté et du désir de changement chez un politicien. Et Norman Mailer a sûrement contribué à bâtir ce mythe.
En 1960 le grand écrivain touche-à-tout est engagé par le magazine Esquire pour couvrir la convention démocrate et la campagne présidentielle qui porteront Kennedy au pouvoir. Ce qui a donné lieu à un véritable morceau de bravoure intitulé Superman Comes to the Supermarket, un très long reportage que vient de rééditer l’éditeur Taschen.
Le texte d’Esquire a fait époque en tranchant avec la façon traditionnelle de couvrir une campagne électorale. Norman Mailer y explorait un « nouveau journalisme », consistant à se mettre en scène dans l’histoire qu’on couvre.
Le journaliste était fasciné par Kennedy. Dans la préface de cette réédition, J. Michael Lennon, professeur de lettres à la Wilkes University et biographe autorisé de Norman Mailer, écrit que ce dernier espérait devenir un proche conseiller du futur président, « une sorte de cardinal Richelieu culturel qui ferait le pont entre la Maison-Blanche et les courants les plus stimulants de l’inventivité américaine ». Ce qui ne s’est jamais produit !
L’aventureux extraordinaire
Alors que le précédent président, Eisenhower, est « l’antihéros, le régulateur né », qui correspondait aux attentes « des timorés des pétrifiés, des prudes et des avachis », écrit Norman Mailer, Kennedy arrive au moment où le peuple américain a besoin de se montrer « plus aventureux et plus extraordinaire ». Jamais un candidat n’a autant incarné la jeunesse, l’énergie et la modernité. Et il est « beau comme un prince de l’aristocratie implicite du rêve américain ».

Les descriptions de Norman Mailer sont souvent féroces. Ainsi décrit-il le vice-président Lyndon B Johnson, « compromis avec trop de contradictions qui se reflétaient maintenant sur son visage, […] les yeux pétillants d’ironie quand il se voulait solennel, paraissant corrompu lorsqu’il prenait un ton moralisateur, le gras des bajoues frémissant de terreur à chacun de ses bons mots, pas convaincant, pour tout dire, un vrai politicien du Sud, un démocrate texan, un Eisenhower conservateur qui ne ferait pas de mal ni de bien, qui se plierait à la machine ».
Et que dire de Robert Kennedy, qui a l’air d’un gentil joueur de football, mais dès que le ballon est en jeu « vous recevez un royal et anguleux coup de genou dans les parties. C’était le genre d’homme avec lequel on ne doit jamais passer les gants si l’on a envie d’un peu de pugilat amical car au bout de deux minutes ce sera la guerre, et dans toute guerre les salauds égocentriques ont beaucoup de résistance ».
Anecdotes en photos
Tout ça est très réjouissant à lire. Le texte original de Norman Mailer occupe à peine le quart de ce gros pavé, plutôt album « table à café ». Le reste est constitué d’un grand reportage photographique faisant revivre avec force d’anecdotes la campagne présidentielle de 1960. À voir Kennedy plonger dans les foules enthousiastes et haranguer le badaud debout sur des capots de voitures ou sur un escabeau, on mesure vraiment comment cette époque est révolue, et comment de telles proximités semblent invraisemblables aujourd’hui.
On ne saura jamais ce que Norman Mailer, mort il y a dix ans, aurait écrit sur le président Trump. Mais en 1960 il croyait que le pays avait besoin d’un héros : « un héros incarne les fantasmes et ainsi octroie à chaque esprit individuel la liberté de considérer ses fantasmes et de trouver le moyen de se développer ».