«Quatre filles»: filles d’aujourd’hui

Étonnant destin que continue de connaître ce roman de Louisa May Alcott, qui aura accompagné tant de générations en un siècle et demi. C’est dire le caractère indémodable de Little Women, malgré les progrès féministes accomplis depuis 1868. Si l’intérêt de mettre en scène une histoire dont Hollywood vient de tirer une adaptation populaire n’est pas forcément évident, ce récit de passage à l’âge adulte au féminin trouve sa place naturellement au théâtre Denise-Pelletier — compagnie qui, avec La société des poètes disparus, offrait à son public adolescent, à l’inverse, un univers masculin il y a trois ans.
Avec leurs aspirations individuelles, leur quête identitaire, les héroïnes du classique connu sous le titre Les quatre filles du docteur March nous parlent encore. Et c’est cette modernité qui semble avoir guidé la dramaturge Julie-Anne Ranger-Beauregard, qui a concentré son adaptation sur les quatre filles. Presque tous les autres personnages ont été coupés et sont simplement évoqués. Le récit est centré sur les relations entre ces sœurs, qui doivent se débrouiller en l’absence de leur père durant la guerre de Sécession — un contexte historique qui n’est pas vraiment exploité —, sur la peinture de leurs désirs et de leurs frustrations, de leurs querelles ou de leur solidarité.
Comme si, en les extirpant d’un ancrage très précis, en les dépouillant d’un cadre familial réaliste, on avait voulu souligner cette intemporalité des héroïnes, mettre en exergue les différents modèles féminins et les différents chemins qu’elles représentent, chacune trouvant en effet sa propre façon de s’épanouir.
Élans parodiques
Cela éloigne le récit, qui se déploie dans une scénographie métaphorique de Karine Galarneau, d’une forme très conventionnelle, même s’il suit un fil chronologique. En contrepartie, cela peut donner des scènes surprenantes, comme un mariage où on n’aperçoit jamais le nouvel époux ! En général, le spectacle dirigé par Louis-Karl Tremblay ne manque toutefois pas de vie. Ou de théâtralité : les March et leur voisin Teddy (Mattis Savard-Verhoeven, à la fois juste et manquant un peu d’éclat) jouent souvent à parodier des situations ou certaines conventions. Dans ce portrait, le personnage de la tante désapprobatrice, seule parente subsistant dans la pièce, fait figure de repoussoir symbolique : une douairière dont les vues sont si rétrogrades qu’elle est reléguée à un rôle comique. Un numéro que campe avec succès la truculente Dominique Quesnel, faisant mouche à chacune de ses apparitions. Bien qu’on puisse regretter que le personnage ne quitte pas le registre caricatural.
Quant à la sororité, elle est servie avec conviction par Clara Prévost, Sarah Anne Parent et Laetitia Isambert, qui donne du caractère à un rôle, Amy, qui paraît plus intéressant. Et au centre de la distribution, faisant parfois office de narratrice, Rose-Anne Déry confère tempérament et fougue à sa Jo, si éprise de liberté. Une figure toujours inspirante.