«Sappho»: lesbiennes de mère en filles

«Sappho», de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, fait l’éloge de l’amour et de l’amitié entre femmes, mais aussi de cette mince ligne qui les sépare.
Photo: Yanick Macdonald «Sappho», de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, fait l’éloge de l’amour et de l’amitié entre femmes, mais aussi de cette mince ligne qui les sépare.

Après Chienne(s) (2018) et Guérilla de l’ordinaire (2019), deux spectacles présentés au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent se déplacent au Quat’Sous pour ajouter un troisième chapitre à leur passionnant théâtre féministe. Malheureusement, malgré de réjouissantes intentions — « visiter les territoires de l’amour entre femmes » —, Sappho ne passe tout simplement pas la rampe.

Poétesse de la Grèce antique, Sappho aurait vécu autour du VIIe siècle av. J.-C. sur l’île de Lesbos. De sa vie et de son œuvre (dont seuls quelques fragments ont traversé le temps) sont nés le saphisme et le lesbianisme. Entre les élèves de Sappho circulait la philia, ce mélange d’amour et d’amitié jusque-là réservé aux hommes, un sentiment égalitaire, c’est-à-dire se déployant loin de toute domination, hors de toute hiérarchie. Pour les individus vivant au XXIe siècle, les idées de Sappho sont non seulement inspirantes, mais aussi joliment subversives.

Pour rendre hommage à cet héritage, le célébrer, voire le réhabiliter, les créatrices du spectacle ont imaginé Denise (Muriel Dutil), ni plus ni moins que la réincarnation de Sappho dans le Montréal d’aujourd’hui. Bien que malade, bien que constamment menacée par les « rénovictions », l’ancienne tenancière de bar « pour femmes seulement » accueille, entre les quatre murs de son appartement en ruine du Centre-Sud, des femmes qui, pour différentes raisons, traversant des épreuves diverses, ont besoin d’un abri, d’un refuge, d’un gynécée où reprendre goût à la vie. On y découvre Sacha l’impétueuse (Nathalie Claude), Joris la timide (Alix Mouysset), Ariane la meurtrie (Florence Blain Mbaye) et puis la fille de Denise, Chloé la renfrognée (Katia Lévesque).

Tout en admirant le lien particulier qui unit ces femmes, la puissance de leur sororité, on se désole généralement de la banalité de leur quotidien. Alors qu’on voudrait tant être empathiques aux histoires de ces « lesbiennes de mère en filles », quelque chose nous en empêche. Il est pourtant question de thèmes cruciaux : agression et réparation, amour et deuil, violence homophobe et domination économique… Qu’est-ce qui nous garde ainsi à distance pendant près de deux heures ? Aurait-il fallu approfondir les portraits ? Étoffer certains dialogues ? Insuffler à la mise en scène davantage d’élan ?

Relatant des moments clés du destin de Sappho à coups d’illustrations et de collages rétroprojetés, Alix Mouysset ajoute une agréable poésie visuelle à la représentation. Malheureusement, les deux dimensions du spectacle, dramatique et didactique, ne composent jamais un ensemble harmonieux ; le tout n’est jamais plus que la somme des parties.

Sappho

Texte : Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent. Mise en scène : Marie-Ève Milot. Une coproduction du Théâtre de Quat’Sous et du Théâtre de l’Affamée. Au Quat’Sous jusqu’au 2 avril.

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