Gentiane MG regarde à travers les œuvres

Gentiane tient désormais un autre discours musical.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Gentiane tient désormais un autre discours musical.

« Un truc qui me fascine : je me suis mise à imaginer Bach en train de prendre une bière à la taverne », lance la compositrice et pianiste Gentiane MG, qui nous avait donné rendez-vous au café du coin, par un petit matin pluvieux. L’image fait sourire, mais elle est très sérieusement la prémisse de Walls Made of Glass, son troisième album enregistré en trio et paru vendredi dernier : il y a de ces chefs-d’oeuvre si parfaitement ancrés dans notre existence, dans notre conscience collective, qu’on oublie, comme elle dit, « qu’il y a un humain en arrière de tout ça, et ça, ça me captive ».

Pas besoin de connaître le parcours de la musicienne, passée du Conservatoire de musique de Saguenay (où elle a étudié dans la même cohorte que le jeune chef d’orchestre et fondateur de l’Orchestre de l’Agora Nicolas Ellis) à la maîtrise en composition jazz à l’Université McGill, pour reconnaître son amour de la musique classique. Suffit d’écouter ce nouvel album et d’apprécier la recherche derrière ses orchestrations pianistiques ou la complexité de ses mélodies pour reconnaître en elle l’élève de Bill Evans et Keith Jarrett, mais aussi de Rachmaninov, de Scriabine et de Chopin.

Une oeuvre aboutie

 

« Pense aux Préludes de Chopin, prend Gentiane pour exemple. Cette musique, on oublie qu’un humain l’a écrite. On dirait qu’elle a toujours existé tellement elle est parfaite — enfin, pas nécessairement parfaite, mais on dirait, en l’écoutant, qu’on ne peut rien y changer, même pas une seule note. Ces pièces sont exactement telles qu’elles doivent l’être. Ça m’a porté à réfléchir : pourrais-je, moi, enlever ou ajouter quelque chose à mes compositions ? Si oui, ça signifie que l’oeuvre n’est pas terminée. »

Walls Made of Glass est, en d’autres mots, le plus abouti de sa discographie. Entre son précédent Wonderland (2019) et cet album tout frais, Gentiane MG a renoué avec la musique classique et moderne qui la passionne. Ça saute aux oreilles, sur le précédent, ses complices Levi Dover à la basse et Louis-Vincent Hamel à la batterie appuyaient sur le swing du jazz, la pianiste faufilant ses idées harmoniques à travers leur jeu charnel. Sur Walls Made of Glass, la section rythmique se retient à dessein, mais le travail de Dover et d’Hamel y gagne en lyrisme. Sur cet album, elle a raffiné l’écriture, « les orchestrations au piano, je suis allée chercher des textures proches de celles de la musique classique, mais je voulais aussi que les musiciens se laissent aller » dans les compositions.

Gentiane tient aujourd’hui un autre discours musical, rendu possible par les longs mois d’introspection, voire d’isolement, que nous avons vécus. « Ça a été extrêmement inspirant pour moi, la pandémie, assure-t-elle. Ça a donné plus de sens à la musique parce que c’est ce que je veux faire en composant, créer du sens, de la vie. Et la musique fut encore plus essentielle à ma vie, puisqu’il n’y avait que ça à faire […]. Je pense que y a quelque chose d’arrêté à cet album, dans le sens que j’ai eu du temps pour l’écrire. C’est d’ailleurs la première fois que je pouvais prendre autant de temps juste pour composer. J’ai l’impression d’avoir vécu cette musique » qui, en devenant moins dense que sur ses premiers albums, lui semble plus lumineuse.

Une libération musicale

 

« Plus inspiré aussi, peut-être ? se questionne-t-elle. Tu sais, lorsqu’on suit une formation musicale, on a toujours cette petite voix qui nous suit et qui nous dit : “Faudrait que tu fasses ça comme ça ou comme ça…” J’ai l’impression de m’en être libérée. En fait, j’ai l’impression que le fait de me concentrer aussi longtemps sur la création m’a permis de tasser cette petite voix pour m’exprimer le mieux possible à travers la musique. C’est ça que j’entends sur l’album, une libération » entre jazz et musique contemporaine, entre improvisation et composition.

Or, ajoute Gentiane, « à un moment donné, une fois créé, une fois enregistré, continuer à faire du sens avec la musique, c’est la partager » sur scène. En première partie de la chanteuse jazz Cécile McLorin Salvant il y a quelques mois, durant le Festival international de jazz de Montréal, Gentiane MG a dévoilé au public une partie de Walls Made of Glass. Son automne sera fait de retrouvailles : samedi soir dans la salle du Conservatoire de musique de Saguenay, où elle a tant répété, puis à Québec (à l’école Arquemuse) dimanche, avant une série de concerts au Canada, puis un saut à Paris le 20 octobre, en espérant retourner bientôt jouer à Mexico.

« Là-bas, la salle est bondée, les gens sont curieux. Ils font preuve d’un accueil incroyable pour les choses qu’ils ne connaissent pas, quelque chose qu’on aurait intérêt à développer ici. D’autant plus que je crois que le public est beaucoup plus ouvert d’esprit qu’on le croit — à la télé comme à la radio, on ne montre pas tant que ça les artistes d’ici » qui font de la musique de création, qu’elle soit jazz, moderne ou entre les deux. « Tout est dans la manière de le présenter. »

Walls Made of Glass de Gentiane MG est lancé sur étiquette TPRRecords.

Walls Made of Glass

Gentiane MG TPR Records, 2022

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