Oiseaux des villes, oiseaux des champs

Le pianiste français Pierre-Laurent Aimard
Photo: Annie Bigras Le pianiste français Pierre-Laurent Aimard

À l’initiative du Festival de Lanaudière, le pianiste français Pierre-Laurent Aimard exécutait cette fin de semaine l’intégrale du Catalogue d’oiseaux, d’Olivier Messiaen. Répartie en quatre concerts présentés à différentes heures du jour et de la nuit dans le cadre idéal de l’amphithéâtre Fernand-Lindsay, la performance était une invitation faite aux festivaliers à affiner leur sensibilité en tendant l’oreille non seulement au concert sur scène, mais aussi à celui donné par les habitants ailés du site.

Figure majeure de la musique du vingtième siècle, le compositeur Olivier Messiaen (1908-1992) a commencé très tôt la transcription musicale de chants d’oiseaux. Achevé en 1958, d’une durée de près de deux heures trente minutes, son Catalogue d’oiseaux regroupe treize portraits d’oiseaux des provinces de France composés à partir de leurs chants. « Fait rare dans la littérature musicale, toutes les composantes du recueil sont inspirées de la nature », souligne Pierre-Laurent Aimard, spécialiste incontesté de la musique moderne. Catalogue d’oiseaux, mais aussi de leurs habitats : précédées de descriptions aussi rigoureuses que poétiques, truffées d’annotations littéraires, les pièces de Messiaen traduisent sur le plan esthétique les différents paysages et lumières dans lesquels évoluent des oiseaux aux noms sublimes (la buse variable, la rousserolle effarvatte, etc.) pour former des tableaux richement détaillés.

« Bien qu’elle appelle la salle de concert moderne par le niveau de précision et de raffinement dynamique exigé de ses interprètes, l’oeuvre se prête mal au récital, entre autres en raison de ses dimensions monumentales et de sa dramaturgie particulière. La présentation en plein air constitue une option intéressante pour la faire connaître, en nous permettant de nous plonger au coeur de ce qui a inspiré le compositeur », affirme celui qui fut autrefois l’élève d’Yvonne Loriod, dédicataire du Catalogue et épouse de Messiaen. Mais quelle est-elle, concrètement, cette nature au coeur de laquelle on convie les festivaliers à s’immerger ?

Un paysage champêtre

 

En amont de la confluence avec la rivière Ouareau, la rivière L’Assomption méandre vers le sud, créant dans ses mues successives de nombreux milieux humides à même ses anciens lits. Prise en filature par le chemin Landry, où subsistent quelques vestiges de la culture du tabac, puis par le boulevard Base-de-Roc au curieux odonyme, elle coule à quelques centaines de mètres derrière l’amphithéâtre Fernand-Lindsay, enserrée par des lisières de forêt mixte mature qu’une topographie accidentée semble avoir préservées de l’exploitation agricole.

Des boisés environnants, parulines couronnées, parulines à gorge noire, viréos aux yeux rouges et piouis de l’Est ajoutent leurs chants à ceux des oiseaux européens immortalisés par Messiaen. Présent sur place tôt samedi matin, le biologiste de la faune Alexandre Nicole y a observé une vingtaine d’espèces généralistes et forestières, ces dernières bénéficiant de l’aire respectable de l’habitat du site du plus important festival de musique classique au Canada. « Les alentours de l’amphithéâtre forment un milieu champêtre plutôt qu’un milieu naturel [au sens de nature vierge], en raison notamment à la proximité de l’activité agricole », précise le scientifique. Difficile, en effet, d’oublier la présence humaine dans la plaine du Saint-Laurent, comme l’ont rappelé aux mélomanes l’irruption ponctuelle de rugissements motorisés et les échos, vendredi soir, d’une fête non loin.

« Bon nombre des espèces qui chantent dans le Catalogue ont vu leur population décroître de manière importante depuis l’époque à laquelle Messiaen a noté leurs chants », déplore Aimard. « De ce fait, l’oeuvre acquiert une valeur de témoignage, en plus de mettre en exergue l’actualité brûlante de la démarche musicale et scientifique entreprise il y a près de soixante-dix ans par le musicien-ornithologue », poursuit-il. Sur le plan documentaire, ajoutons également que les chants des oiseaux se transforment au fil du temps suivant l’évolution de leur environnement, mais aussi en fonction d’un goût pour la nouveauté qui n’est pas l’apanage des seuls humains. À ce titre, « un nouveau chant venu de l’ouest du Canada gagne présentement en popularité chez les bruants à gorge blanche », mentionne au détour Alexandre Nicole.

« Le maintien de zones boisées comme celles entourant l’amphithéâtre est essentiel à la préservation d’une biodiversité à l’image de celle évoquée dans le Catalogue d’oiseaux. Habitat des espèces résidentes, elles constituent des aires de nidification et de repos pour les espèces migratrices, en plus de fournir des services écologiques non négligeables, comme freiner l’érosion des rives. La “productivité” de ces lisières ne saurait toutefois constituer l’unique argument en faveur de leur protection, il faut encore les trouver belles », soutient le biologiste lanaudois. Un rappel à nous montrer sensibles, comme Messiaen jadis et aujourd’hui à travers la fréquentation du Catalogue d’oiseaux, au message de « joie immatérielle » des oiseaux.

Chants d’oiseaux, miroirs de l’âme.

Messiaen : Catalogue d’oiseaux. Pierre-Laurent Aimard, piano. Amphithéâtre Fernand-Lindsay (Joliette), les vendredi 22 et samedi 23 juillet 2022.

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