Schaghajegh Nosrati, au-delà des espérances

En choisissant Schaghajegh Nosrati, le directeur d’Orford Musique, Wonny Song, a fait parler son cœur de musicien. Il prenait un risque, mais a réussi un échange parfait, tel qu’on aimerait en voir souvent au Canadien de Montréal.
Photo: Irene Zandel En choisissant Schaghajegh Nosrati, le directeur d’Orford Musique, Wonny Song, a fait parler son cœur de musicien. Il prenait un risque, mais a réussi un échange parfait, tel qu’on aimerait en voir souvent au Canadien de Montréal.

C’est devant un public exceptionnel de silence et de respect, peut-être médusé, puis débordant d’enthousiasme, que la pianiste allemande Schaghajegh Nosrati, 33 ans, a donné son premier, mais assurément pas son dernier, récital en sol québécois. Ce que nous avons entendu dépassait des attentes pourtant extrêmement élevées.

Schaghajegh Nosrati remplaçait le pianiste Martin Helmchen qui avait donné jadis à Orford, puis au Ladies’ Morning, de mémorables Variations Diabelli. En choisissant la jeune Allemande inconnue ici, Wonny Song, directeur d’Orford Musique a fait parler son coeur de musicien. Il prenait un risque, mais a réussi un échange parfait, tel qu’on aimerait en voir souvent au Canadien de Montréal !

Du portrait de l’artiste dessiné par Le Devoir le 16 juillet dernier, nous pouvions retenir trois éléments majeurs. Schaghajegh Nosrati s’est fait connaître grâce à ses interprétations de Bach, mais plus que cela, elle est habitée par la musique de Bach depuis l’enfance. Le grand András Schiff l’a prise sous son aile, a parachevé sa formation avant d’en faire son assistante d’enseignement à Berlin. Enfin, son rapport à la sonorité est physique, mais aussi intellectuel : « Le “bon son” vient de la compréhension. Or, de la compréhension découle une signification, et de cette signification résulte une profondeur sonore », nous disait-elle.

Une expérience sonore

 

Assister à un concert de Schaghajegh Nosrati, c’est vivre en direct cette quête. Et, fascinante, elle va au-delà de ce que les pianistes font habituellement, c’est-à-dire mettre plus ou moins de pédale ici ou là dans une même phrase. Avec Nosrati il y a, en plus, au sein des compositions, des oppositions de pans musicaux résonnants et des pans plus secs, un peu comme dans un orchestre jouant Beethoven l’utilisation du vibrato et du non-vibrato à des fins expressives.

Ces expériences sonores touchent évidemment aussi l’esthétique générale liée à un compositeur. La manière de faire sonner le piano dès les premiers accords de la dernière sonate de Haydn par rapport à la 2e Partita de Bach était saisissante et cette 62e Sonate de Haydn fut le grand moment, quasi irréel, de la soirée. Certains pianistes la découpent (Gould), la cisèlent (Hamelin), l’ourlent (Schiff). Nosrati se rapproche le plus de Bavouzet (il vient de l’enregistrer pour son volume 11), mais y ajoute de l’esprit, de l’humour, en jouant notamment avec les ruptures et les silences. Nous n’avons pas souvenir d’une pareille expérience en concert dans une sonate de Haydn, le seul s’en approchant étant Schiff, dans la sonate précédente (ré majeur) en 2015 à la Maison symphonique.

La personnalité de l’artiste se traduit dès l’entame de l’Opus 116 de Brahms, qui n’est en rien asséné, mais se déploie en ombres et lumières. La poésie mystérieuse mais jamais forcée des Intermezzi n° 2 et 4 est le grand moment de cette partie Brahms.

Quant à Bach, dont Schaghajegh Nosrati a joué l’ouverture de la 4e Partita en bis, il n’est jamais affecté et déploie avec une lumineuse clarté la richesse du contrepoint, qui n’est évidemment jamais asséné (c’est une mode pédante chez certains pianistes de ponctuer les mélodies parallèles pour bien faire entendre qu’il y en a plusieurs !). En petite touche personnelle, Nosrati ajoute dans le Capriccio final la fantaisie de légèrement retenir puis relancer le mouvement. Coquetterie charmante, que l’on saluera avec bonheur vu le caractère du moment.

Après le concert, nous avons appris que la pianiste donnait ce récital dans une robe toute neuve achetée dans l’après-midi, puisque tous ses bagages sont restés quelque part entre l’Allemagne et Montréal. Cela ne lui a pas fait perdre sa bonne humeur, sa concentration et son inspiration.

Bach et Brahms par Nosrati

Bach : Partita n° 2. Haydn : Sonate n° 62. Brahms : Pièces op. 116. Schaghajegh Nosrati. Orford Musique, vendredi 22 juillet 2022.

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