«Le Messie», amoureusement

Yannick Nézet-Séguin a attendu 17 ans avant de diriger son premier Messie à la tête de l’Orchestre Métropolitain. Il a fait les choses en grand, à la Maison symphonique. Une supplémentaire a dû être programmée, vendredi soir, tant la représentation prévue ce samedi à 14 heures s’est remplie rapidement. Ce concert additionnel affichait également salle comble.
Pour une fois, le chef n’a pas parlé. Personne n’a parlé. Il s’agissait d’une célébration. D’une rencontre intime ; une de plus. Drôle d’apanage, pourtant. Une trentaine d’instrumentistes et cent choristes. Déséquilibre, forcément. Et pourtant ! Yannick Nézet-Séguin, qui n’a visiblement pas voulu sélectionner dans son choeur et exclure des chanteurs pour une telle occasion (bravo et merci !), demande à ses ouailles de chanter avec modération, en leur faisant ourler les phrases. En fait, presque chaque choeur repose sur une idée, un concept : les notes détachées de All we like sheep, la quasi-rage de He trusted in God, la légèreté absolue de For us unto a Child is born.
On ne va pas prétendre, personne ne va prétendre que la finition de ce qu’on entend sur scène approche ce que nous livrent ici Les Violons du Roy et la Chapelle de Québec en pareille circonstance. Le genre est nouveau pour le Métropolitain, qui tâtonne dans l’introduction orchestrale de la 2e partie et prouve, dans la Pastorale de la 1re, que le jeu sans vibrato demande une technique d’archet aguerrie pour sonner de manière moins inconfortable. Dans le choeur aussi, notamment le pupitre de basses, la bonne volonté l’emporte parfois sur la parfaite maîtrise des vocalises.
Mais il y a le sens. Et le sens est là, partout. Les spectateurs le voient, sculpté en direct par le chef.
L’ange Carolyn
S’il n’y a pas de discours avant Le Messie de Yannick Nézet-Séguin, c’est probablement parce que le musicien a hâte de nous plonger rapidement dans cette toile qu’il tisse amoureusement, avec tendresse, dès l’ouverture, et où tous les coins sont arrondis.
On l’entend dans le choeur He shall purify. Comme lors du concert des quatre cantates de Bach par Bernard Labadie, dimanche dernier, ce choeur n’est pas chanté, ni énoncé, comme on a l’habitude de le faire : il est sculpté en douceur. Dans cet univers, au bout d’un certain temps un ange tombe du ciel : la soprano Carolyn Sampson. Comme Lydia Teuscher, comme Joelle Harvey, sa voix restera emprisonnée dans ces murs tel un miracle, un don du ciel. Carolyn Sampson est fascinante dans tous ses disques depuis ses débuts. En vrai, elle est renversante.
Inutile de dire qu’elle fait forcément de l’ombre aux autres solistes, même s’il n’y a aucun reproche à faire au contre-ténor Christophe Dumaux, et presque pas à la basse Stephen Hegedus, appelé de la dernière heure. Dans ce contexte, le ténor Pascal Charbonneau s’est appliqué. Son timbre n’a pas l’éclat assorti aux autres, mais Frédéric Antoun était pris par un Messie à Toronto…
Un dernier mot pour nous ravir que le Métropolitain, avec ses propres valeurs, draine aussi un public qui les partage. Du jamais vu à Montréal : de ce que j’ai pu apercevoir de la corbeille, seule une poignée de spectateurs, une quarantaine peut-être, aux étages, a prêté docilement allégeance à la reine d’Angleterre en se levant en colonisé pendant l’Alleluia. Voilà qui fait bien plaisir : on peut présenter un Messie de Haendel au Québec en l’écoutant comme des Québécois ! Rien que pour cela, ça valait le coup d’attendre.