Musique classique - La vie parisienne, ou l’opérette comme il se doit
Nous avons plaidé, ici même, à de nombreuses reprises, pour une reconsidération de la place de l’opérette dans les saisons de nos institutions lyriques. Les efforts méritoires réalisés par la Société d’Art lyrique du Royaume à Chicoutimi ou par l’Opéra bouffe du Québec ne doivent pas dédouaner nos deux institutions phares de s’intéresser à ce répertoire populaire, irrésistible lorsqu’il est bien réalisé.
En décrivant l’innommable attentat commis récemment par l’Opéra de Montréal sur La chauve-souris de Strauss nous écrivions : « Ce n’est pas parce que c’est drôle que ça ne doit pas être pris au sérieux ». Le spectacle de La vie parisienne à Québec, mitonné par Alain Gauthier et son équipe prouve le bien-fondé de cette analyse.
Le sérieux du projet éclate dès l’ouverture. La musique est rythmiquement tenue et cadrée par Jean-François Rivest, avec un soin du détail et de la carrure. Le pire, ici, serait l’emballement incontrôlé, si tentant. Rivest lâche exactement ce qu’il faut lâcher, mais contrôle tout, jusqu’au tableau final où, dans l’excitation générale, fort compréhensible, les chanteurs précèdent l’orchestre. La finesse de l’humour va se loger dans la musique, puisque Rivest réserve un traitement musical royal à l’ensemble sur « Son habit est craqué dans le dos », la beauté de la musique s’opposant à l’ineptie des paroles.
Ce genre d’ouvrage fonctionne avec trois ressorts : l’humour, le tact et le rythme. À Montréal, tout partait à vau-l’eau ; à Québec, ça marche : le comique de situation et la musique s’enchaînent de manière cohérente et respectueuse. Les adaptations à saveur locale sont rares mais fines. Ni gras ni outré, le rire est bien dosé et préserve le caractère parisien, dans un cadre transposant l’action dans les années folles. Quant au décor, simplicité rime avec efficacité.
Sur le plateau, le tandem Patrick Mallette-Éric Thériault (Gardefeu et Bobinet) fonctionne parfaitement, avec une vocalité très soignée, que l’on trouve aussi chez Pascale Beaudin et Monique Pagé. Nathalie Paulin est une Metella très sûre, Marc Hervieux caricature le Brésilien en s’amusant bien et Robert Huard semble né pour jouer avec bonhomie le lubrique baron de Gondremarck. Parmi les petits détails qui contribuent aux belles réussites, on notera que l’acteur Bertrand Alain donne le portrait et l’intonation justes du majordome dans la comédie boulevardière parisienne du tournant du XXe siècle.
Évidemment Alain Gauthier est le maître d’oeuvre derrière tout cela. La culture, ça ne s’invente pas, mais ça se remarque et je n’ose même pas imaginer ce que seraient nos scènes lyriques si elles ne pouvaient compter sur des talents aussi sûrs que le sien ou celui de François Racine.