Victimes des flous de la loi, des citoyens racontent

Les problèmes d’accès à l’information au Québec ne sont pas seulement l’affaire des journalistes, qui font en réalité bien moins de demandes que les citoyens. Quatre personnes, de différents milieux, ont accepté de témoigner des embûches qu’elles ont rencontrées en utilisant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.
Monique Dumont, journaliste-recherchiste à la retraite
Habituée aux demandes d’accès à l’information, c’est comme citoyenne que Monique Dumont a voulu obtenir des informations auprès du CISSS de Laval au début de la pandémie. La recherchiste à la retraite, qui vit dans une résidence privée pour aînée (RPA), voulait comprendre les raisons scientifiques ayant mené à la fermeture des salles à manger en RPA en janvier 2021. « J’avais l’impression qu’on mettait toutes les personnes âgées dans le même bain, par âgisme, alors que la situation en RPA était très différente de celle en CHSLD. On n’avait aucun cas dans notre résidence », raconte-t-elle. L’accès à la salle à manger permettait aux résidents de briser l’isolement en cette période trouble, et ce, de façon sécuritaire puisque le port du masque et la distanciation étaient respectés. Plus de trois mois après sa demande, Mme Dumont a reçu une réponse du CISSS, alors que la loi donne 20 jours aux organismes publics pour répondre à une demande, avec la possibilité de prolonger de 10 jours. « Ce ne sont pas les délais le pire, c’est la réponse, s’offusque-t-elle. J’ai eu accès à deux courriels échangés entre le personnel du CISSS, où une partie était caviardée et où l’autre portait sur la formulation de la directive. Rien pour expliquer ce qui l’a guidée. […] C’est très paresseux ! Ou ça montre bien qu’il n’y avait pas de justification. » Les salles à manger ayant été rouvertes entre-temps, elle n’a pas souhaité demander une révision auprès de la Commission d’accès à l’information (CAI) craignant d’obtenir une réponse des années plus tard.
Rébecca Pétrin, directrice générale de l’organisme Eau Secours
Préoccupé par les ressources d’eau au Québec, l’organisme Eau Secours a demandé en 2018 au ministère de l’Environnement d’avoir accès aux quantités d’eau prélevées par les entreprises qui l’embouteillent pour la vendre, en vertu de la Loi sur l’accès aux documents. « L’information existe, les entreprises sont obligées d’en faire la déclaration, et le ministère collige les données », note Rébecca Pétrin. La réponse gouvernementale n’a pas tardé, l’organisme a reçu un document qui révélait le nom des entreprises ainsi que l’endroit où elles puisent leur eau, mais la colonne indiquant en quelle quantité — soit l’objet de la demande — était complètement caviardée. La raison ? « Il s’agissait d’un secret commercial », selon le ministère, souligne Mme Pétrin. Eau Secours ne s’est pas découragé et a demandé une révision à la CAI. La décision est tombée deux ans plus tard : nouveau refus pour « secret commercial ». « On se basait sur l’article 7 de la loi sur l’eau qui reconnaît que c’est une ressource collective au Québec et que tout citoyen voulant de l’information à ce sujet a le droit d’en faire la demande. Le problème, c’est que la Loi sur l’accès aux documents prime, car plus ancienne, et nous prive de ce droit avec ses nombreuses exceptions », déplore Mme Pétrin. En janvier 2021, la cause a été portée en appel devant la Cour du Québec, qui a toutefois récemment confirmé le refus de la CAI. « C’est une aberration de devoir passer par ce processus et de ne même pas avoir les chiffres, alors qu’ils existent ! » insiste-t-elle.
Thomas Gerbet, journaliste à Radio-Canada
Début 2022, alors que les Québécois se voyaient imposer un nouveau couvre-feu pour freiner la COVID-19, Thomas Gerbet a cherché à savoir sur quoi s’était appuyé le gouvernement pour adopter une nouvelle fois cette mesure, en passant par la Loi sur l’accès aux documents. « On a finalement reçu l’avis éthique préparé pour la Santé publique, mais le document était entièrement caviardé. Impossible de savoir s’il était favorable ou non. […] Je suis habitué aux documents caviardés, mais là, ils ont eu le sharpie un peu intense, il n’y avait aucune information lisible », explique-t-il. Estimant que la situation frappait l’imaginaire, il s’est empressé de publier les documents sur son compte Twitter, une façon de « montrer les coulisses » de son métier aux citoyens, mais surtout le « manque de transparence » des institutions. Les partis d’opposition en ont fait leurs choux gras, et sa publication a finalement créé une pression populaire. Dans les 24 heures suivantes, le gouvernement rendait public le fameux document, qui confirmait que l’ancien directeur national de santé publique, Horacio Arruda, a recommandé le déploiement du couvre-feu malgré un avis éthique défavorable. « Pourquoi l’avoir complètement caviardé dans un premier temps, et le rendre public après ? » insiste M. Gerbet pour illustrer l’incohérence de la situation. Il pointe ici un manque de volonté politique de partager l’information, mais aussi les failles de la Loi qui l’encadre et prévoit des exceptions floues.
Mathieu Santerre, président de L’Orange bleue affaires publiques
Souhaitant servir au mieux ses clients qu’elle conseille en matière de relations d’affaires publiques et de relations gouvernementales, L’Orange bleue a fait une demande en mai 2020 auprès des différents ministères et organismes publics pour connaître leurs normes en matière de communications avec les lobbyistes. « Un exemple : est-ce que les gens doivent être inscrits au registre des lobbyistes avant de demander une rencontre avec un ministère ? Ce sont de petits détails très importants pour nos clients », illustre Mathieu Santerre. La réponse du ministère du Conseil exécutif l’a pour le moins surpris. « Au Conseil exécutif, on nous disait qu’il n’existait aucun guide, aucune norme ou directive écrite, aucun document d’information concernant leurs communications avec les lobbyistes. La réponse est invraisemblable, c’est impossible qu’il n’y ait aucune norme de procédure. […] C’est surtout pas normal de ne pas savoir comment fonctionnent nos institutions avec les lobbyistes. » M. Santerre se demande s’il s’agit simplement d’un manque de transparence ou d’une interprétation très limitée de la loi. « Elle s’intitule loi sur l’accès aux documents, mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de documents tels quels que l’information n’existe pas », avance-t-il. Ne souhaitant pas s’embarquer dans de longues et laborieuses démarches en demandant une révision au CAI, la firme a préféré laisser tomber.
Une version précédente de ce texte, qui plaçait le cadre de la demande de Monique Dumont du 8 janvier au 9 février 2020, a été corrigée.