La retraite pour Jacques Fabi, voix de la nuit depuis 45 ans

«On dit que la radio change, mais [en réalité], pas tant que ça. C’est cliché de le dire, mais ça reste un média de proximité. Moi, j’ai sept lignes téléphoniques, et toutes les nuits, c’est plein», raconte l’animateur Jacques Fabi.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «On dit que la radio change, mais [en réalité], pas tant que ça. C’est cliché de le dire, mais ça reste un média de proximité. Moi, j’ai sept lignes téléphoniques, et toutes les nuits, c’est plein», raconte l’animateur Jacques Fabi.

Phare dans la nuit depuis les années 1970, le légendaire animateur Jacques Fabi s’apprête à accrocher définitivement son micro. À 69 ans, il partira à la retraite en juin prochain avec le sens du devoir accompli, convaincu que la radio nocturne lui survivra.

Trop d’auditeurs comptent sur les tribunes téléphoniques entre minuit et 3 h pour que ce créneau soit abandonné par le réseau Cogeco, est persuadé le vétéran. Certes, la technologie a considérablement transformé le métier depuis qu’il a commencé à l’exercer, à Sherbrooke, en 1972. Mais les réseaux sociaux ne seront pas pour autant venus à bout de la radio FM, insiste Jacques Fabi.

« On dit que la radio change, mais [en réalité], pas tant que ça. C’est cliché de le dire, mais ça reste un média de proximité. Moi, j’ai sept lignes téléphoniques, et toutes les nuits, c’est plein », raconte-t-il, la vapoteuse au bec.

Voilà quelques années qu’il a troqué le tabac pour la cigarette électronique, passage obligé pour celui qui a connu l’époque où l’on fumait dans les studios en enregistrant les émissions. De cette période, il garde la légère teinte rauque qui marque sa voix feutrée. Quiconque a déjà pris un taxi au beau milieu de la nuit a déjà entendu cette tonalité reconnaissable entre toutes. Car la voix de Jacques Fabi fait partie du quotidien des chauffeurs de taxi, des camionneurs, des employés de bar et des autres insomniaques depuis des décennies.

Certains d’entre eux, souvent les mêmes, lui téléphonent pour lui faire part de leurs états d’âme. Sur leur vie personnelle, sur le Canadien, sur l’actualité… Quelques-uns, enivrés par l’alcool, tiennent parfois des propos lunaires, donnant lieu à des séquences devenues cultes. D’autant plus que l’animateur a l’habitude d’y répondre avec une certaine nonchalance devenue sa marque de commerce.

« Ça m’est déjà arrivé de mettre en ondes des personnes que je savais chaudes. Il ne faut jamais oublier que la radio reste un spectacle, reconnaît-il. Mais c’est arrivé beaucoup moins souvent qu’on le pense. Ce n’est pas un freak show, la plupart des gens sont articulés. Il m’arrive même de parler avec quelqu’un pendant 30 minutes parce que je trouve que ce qu’il dit est intéressant. »

Des rencontres marquantes

 

La nuit lui permet cette marge de manœuvre, cette liberté de ton, ce contact privilégié avec l’auditeur, impossible ailleurs dans la grille horaire. C’est pourquoi, malgré plusieurs occasions, il n’a jamais abandonné le créneau de nuit. L’animateur a cependant fait quelques remplacements ici et là à heure de grande écoute, ce qui lui a permis de croiser la route de plusieurs grands noms de la radio, à commencer par Jean Cournoyer, l’ancien ministre libéral devenu animateur, que Jacques Fabi considère aujourd’hui comme l’un de ses modèles.

Un certain Justin Trudeau a également coanimé quelques semaines avec lui lors d’un été du début des années 2000. Jacques Fabi n’oubliera d’ailleurs pas de sitôt l’ambiance glaciale qui régnait en studio lorsqu’il avait invité le réalisateur Pierre Falardeau, ardent défenseur de l’indépendance du Québec, à l’émission.

« M. Trudeau avait accepté que je l’invite. L’entrevue avait duré une heure, et ils ne se sont pas regardés une seule fois dans les yeux. Jamais », raconte celui qui n’est pas à court d’anecdotes après 50 ans de radio.

Il a aussi partagé le micro avec quelques personnages sulfureux, comme le Doc Mailloux, avec qui il a aimé travailler, même s’ils n’étaient pas toujours d’accord. Idem pour André Arthur, dont il vante la grande intelligence, bien qu’il avoue avoir été quelque peu dérouté par certaines envolées du roi de la radio de Québec.

Des moments plus difficiles

 

Jacques Fabi, pour sa part, n’a jamais fait dans la controverse et la provocation, même s’il lui arrive de pousser quelques coups de gueule bien sentis.

La plus grosse tache à son dossier : une auditrice qui, choquée par l’escalade du conflit israélo-palestinien dans la bande de Gaza en novembre 2012, l’appelle pour vanter Hitler et la Shoah. Plutôt que de couper la ligne, Jacques Fabi continuera d’alimenter la conversation, ce qui lui vaudra d’être suspendu un mois. « Depuis que je suis revenu en ondes, plus personne ne m’a reparlé de cet événement, ce qui est très apprécié. C’est sûrement le pire moment de ma carrière. Ce que les gens ne savent pas, c’est que pendant que cette femme parlait, moi, j’étais sur une autre ligne avec un autre auditeur. Disons que depuis cette fois-là, je m’arrange pour faire seulement une chose à la fois », poursuit l’animateur de Fabi la nuit, qui préfère se remémorer d’autres moments marquants de sa carrière.

Impossible d’oublier par exemple l’émotion qui avait gagné les auditeurs dans la nuit du 1er au 2 novembre 1987, quelques heures après l’annonce du décès de René Lévesque. La crise du verglas de janvier 1998, quand la radio était devenue le seul moyen de communication pour une bonne partie de la population québécoise, reste aussi ancrée dans sa mémoire.

Quant à la pandémie, Jacques Fabi en garde un souvenir plus amer. D’un côté, les tribunes téléphoniques nocturnes ont été une bouée de sauvetage pour certaines personnes qui habitaient seules durant les confinements, ce qui confirme, à son avis, la pertinence de la radio traditionnelle. De l’autre, cette période a aussi été marquée par une radicalisation des propos de certains auditeurs, parfois empreints d’une certaine violence.

« Ce n’est pas facile de discuter avec les antivax, les antimasques, et tous ces gens-là. Il y a des gens avec qui c’était impossible de discuter. J’ai reçu plusieurs courriels de menaces. C’est beaucoup plus difficile qu’avant d’animer une ligne ouverte », conclut-il en souhaitant la meilleure des chances à son successeur.

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