«Les petits rois»: des chiffres pis du sang

Ce qu’il y a de bien dans «Les petits rois», c’est la bande de comédiens au jeu juste et naturel qui porte l’ensemble.
Photo: Eva-Maude Tardif-Champoux Ce qu’il y a de bien dans «Les petits rois», c’est la bande de comédiens au jeu juste et naturel qui porte l’ensemble.

Ça commence comme une scène de YOU, la série dans laquelle personne n’a de rideaux. Quelqu’un filme, dans la nuit, par la fenêtre, une famille dite « parfaite ». Parfaite, vraiment ? N’est-ce pas dans ces cocons où tout semble immaculé que se cachent habituellement les secrets les plus sordides ?

Car Les petits rois sont égoïstes, souvent mesquins, convaincus de leur supériorité. Leur clan est mené par un joueur de hockey qui aime montrer ses abdos, mais camoufler ses émotions. Il est épaulé par un patineur artistique déterminé dont les tenues rappellent celles, éclatantes et stylées, de l’athlète olympique Adam Rippon.

Les yeux rivés sur leur cellulaire, ils élaborent des manigances et se font des coups bas, créent des alliances et trahissent leurs amitiés.

 

La série de six épisodes de 45 minutes est une idée originale de Jeffrey Wraight, un habitué des productions qui parlent aux jeunes : Code F, Code Get Influenceurs à Vrak, c’est lui. « J’avais envie de déconstruire les stéréotypes qui ne sont plus d’actualité, confie-t-il. Les personnages sont autorisés à être qui ils sont sans que leur identité définisse complètement leur intrigue. »

Avec cette série, Radio-Canada voulait aussi « parler aux 16-25 ans ». Parmi les références nommées en conférence : 13 Reasons Why, Riverdale, Sex Education.

« Ce qui se passe dans une école secondaire est très révélateur de ce qui se passe dans la société », ajoute Jeffrey Wraight.

Il est donc question de jeux de pouvoirs, d’égoïsme, de privilèges, de fidélité et de fragilité.

Pas trop de place, dans les trois premiers épisodes du moins, pour la politesse, la légèreté ou la bienveillance. Un plan de vengeance impliquant des laxatifs est élaboré. Pour « faire chier, littéralement ». La scène ne nous sera pas épargnée.

La langue et les dialogues, qui génèrent déjà moult réactions et critiques, sont agrémentés de « slide dans mes DM » et de « Yo, shit papa, c’est malade ». Scénarisés par Marie-Hélène Lapierre (qui a cosigné la série Jérémie) et par Justine Philie, les échanges faits de « j’envoie une dic picpour sa chix » et de « il me ghoste, le sale » sont parfois livrés par des personnages assis sous des lettres en néon qui épellent de façon très évidente le mot « Chill ».

Ceux qui ont des ados (ou les ados eux-mêmes) sauront mieux dire que nous si « Dude, c’est genre Meghan Markle su’a sauce » est véritablement une observation plausible. (Même si « saucer » a été utilisé jusqu’à plus soif à O.D.).

« Je suis quand même très à l’écoute de ce qui se passe autour de moi, assure à ce sujet Marie-Hélène Lapierre. J’essaie de rester très collée sur ce que les jeunes consomment et d’écouter comment ils parlent. Pour vraiment bien nous adresser à eux, il fallait inclure de l’anglais. » À noter que certains passages seront même sous-titrés.

XOXO

 

Ce qu’il y a de bien dans Les petits rois, c’est la bande de comédiens au jeu juste et naturel qui porte l’ensemble. Karl-Antoine Suprice, Audrey Roger, Célia Gouin-Arsenault, Alex Godbout… Leurs performances évoquent celles de groupes soudés qui s’entredéchirent, comme c’était le cas dans Grand Army. De façon moins frontale et brutale, toutefois.

« Ça aurait pu être un piège de tomber dans le look, dans l’esthétique. La priorité et le levier de la série, ça reste les acteurs », remarque d’ailleurs Julien Hurteau.

Le réalisateur, connu pour la websérie Teodore pas de H, s’est dit fortement influencé par David Fincher qui, on le sait, met énormément l’accent sur la bande sonore de ses œuvres (voir : son adaptation de Millenium). « C’est tellement un beau terrain de jeu pour jazzer ça avec la musique que j’écoute dans la vie. »

Dans Les petits rois, le bourdonnement à la Trent Reznor côtoie ainsi les compositions d’Aliocha, de Das Mortal et de Super Plage. Des plans de l’intérieur des cases et d’autres devant l’école rappellent les prises de vue en face de l’établissement que fréquentaient autrefois les gossip girl (xoxo).

En outre, comme dans beaucoup de drames de secondaire américains, de Glee à Buffy, une partie de l’intrigue est consacrée à une élection scolaire. Et comme dans Election d’Alexander Payne, il y a du sabotage et de la tricherie. C’est donc sans le mériter que la candidate, qui croit que « la religion, c’est comme la masturbation, ça ne se fait pas à l’école », se retrouve à la présidence.

Et, comme dans beaucoup de séries pour ados également, les adultes sont complètement désemparés et à côté de la plaque. Surtout les profs, qui essaient désespérément d’enseigner les nuances d’Antigone ou les principes de la loi de Hooke.

En filigrane, et présentée sur des tonalités de suspense un brin macabre, une personne mystérieuse envoie des courriels menaçants et laisse des feuilles de papier sur lesquelles on trouve « des chiffres pis du sang ». Encore une fois, les références ne manquent pas. Pensée pour la série Scream.

La mention de « feuille de papier » est une rareté dans ce monde où tout se passe principalement en ligne et où les personnages ont toujours le cell à la main et des airpods dans les oreilles. Une influenceuse (jouée parfaitement par Chanel Mings, qu’on a vue dans le film au contexte similaire Fabuleuses de Mélanie Charbonneau) tourne souvent ses « stories » dans les toilettes et dans la cafétéria. Les textos sont omniprésents à l’écran, où s’affichent en couleurs éclatantes des « Fuck toi » et beaucoup d’emojis.

Rapidement, tout commence à aller mal pour les protagonistes. En leurs mots : « C’est vraiment un shit show. » Ou encore : « Bienvenue à Shit Land. » Pour ceux qui souhaiteront y rester malgré tout, les événements s’enclencheront et les personnages s’activeront : « Yo. Moins de yoga, plus de payback. »

Les petits rois

Sur l’Extra de Tou.tv, dès le 27 mai

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