«The Mosquito Coast» transformé par Neil Cross

Les acteurs Melissa George, Logan Polish, Gabriel Bateman et Justin Theroux dans «The Mosquito Coast»
Photo: Apple TV + Les acteurs Melissa George, Logan Polish, Gabriel Bateman et Justin Theroux dans «The Mosquito Coast»

The Mosquito Coast commence dans un tourbillon. Un père bidouille une machine à glace qui, prétend-il, va révolutionner l’humanité. Son fils le regarde d’un air impressionné. Sa fille se cache dans sa chambre, sa femme tape nerveusement à la machine à écrire. À quelle époque sommes-nous ? Que se passe-t-il ? Qui sont ces gens ?

Pas le temps de réfléchir trop longtemps. Rapidement, les parents embarquent leurs enfants à la course sans leur expliquer pourquoi, « juste, dépêchez-vous ! », et ils fuient les lieux. Pour quelle raison ? Vers où ? Et sommes-nous vraiment obligés de marcher dans le désert pendant autant d’épisodes ?

« En visionnant votre série, on s’est senti comme l’un de ces ados, forcé de suivre ses parents sans poser de questions », dit-on au scénariste Neil Cross. Au bout de son Zoom, le créateur sourit, l’air ravi. « J’adore jeter les téléspectateurs dans un univers inconnu, perturber les choses et mettre plein d’action. J’ai une phobie absolue à l’idée d’ennuyer mon public. De penser que des milliers de personnes regardent mon émission et se disent que c’est plate ? L’horreur. »

D’ores et déjà comparé à un « Breaking Bad dérivé », notamment par The Hollywood Reporter, The Mosquito Coast mise sur un antihéros idéaliste qui met sa famille en danger tout en cherchant à la protéger. « J’avais énormément de sympathie pour ce personnage, avoue Neil Cross. Moi-même, je n’aime pas l’autorité. Je n’aime pas avoir de patron, je n’aime pas qu’on me dise quoi faire, j’ai été renvoyé de l’école. Je le comprends. Comme tous les hommes certains d’avoir toujours raison, il a souvent extrêmement tort. C’est un peu un trou de cul. Mais il est brave, il aime ses enfants, il est ingénieux. »

Un étranger croisé en chemin lancera d’ailleurs à ce père à l’esprit chimérique : « Tu dis vouloir fuir l’Amérique, mais tu es l’Amérique. Tu es égoïste. Tu prends, tu prends, et tu ne redonnes rien. » « Comme tous les grands utopistes, mon protagoniste est profondément hypocrite, remarque le scénariste. Il pense qu’il peut aller où il veut. Être qui il veut. Mais il ne peut pas laisser ses racines derrière lui. Pardon si je le cite mal, je ne le lis pas tous les jours, mais comme dirait Horace : “L’homme a beau parcourir les mers, seul le ciel change. Pas son âme.” »

« Peut-être cache-t-ellequelque chose ? »

Ceux qui ont lu le roman de Paul Theroux, paru en 1981, ou vu le film de 1986 avec Harrison Ford, reconnaîtront dans The Mosquito Coast le personnage de l’inventeur rempli d’illusions qu’incarne désormais Justin Theroux. Un rêveur romantique qui déteste les États-Unis et qui laisse son pays derrière lui, entraînant son clan à sa suite. Soi-disant pour trouver la liberté. Mais même ceux qui connaissent l’œuvre originale seront ici en terrain vague.

Car cette nouvelle production n’est pas tout à fait un antépisode, pas du tout une suite, et certainement pas une adaptation. « C’est une transformation », précise Neil Cross qui, par le passé, a signé le thriller à succès Luther, avec Idris Elba.

Dans cette transformation, donc, le personnage de « La Mère » (« Mother »dans l’original) est nettement plus développé. « À l’évidence, dans le roman, cette figure de femme autoritaire, telle que perçue par son époux anarchiste et délirant, était satirique, estime le scénariste anglais. Mais ce type d’ironie littéraire complexe ne tiendrait pas la route dans une relecture moderne. C’était d’ailleurs l’élément le plus important de toute cette affaire. Comprendre qui elle est vraiment. Et pourquoi diable est-elle mariée à ce gars ? »

C’est Melissa George qui incarne cette femme complexe, prise entre son désir de protéger ses enfants et celui de soutenir son compagnon, qui perd de plus en plus les pédales. L’actrice australienne renoue ainsi professionnellement avec Justin Theroux, vingt ans après Mulholland Drive, de David Lynch. « Pendant toutes ces années, nous ne nous sommes vus qu’une seule fois, dans un défilé de mode, à New York, nous raconte-t-elle en français. Souvent, pendant le tournage, nous prenions une pause pour nous regarder et nous dire à quel point nous nous trouvions encore beaux, malgré tout le temps qui s’était écoulé. »

La comédienne saluée pour ses prestations dans les séries In Treatmentet The Slap renoue aussi avec un rôle comme elle les aime. « Celui d’une figure maternelle qui possède un côté sombre. On peut le voir dans ses yeux, parfois. Peut-être cache-t-elle quelque chose ? C’est elle la plus forte, elle qui va les tirer du pétrin. »

Car ce couple de parents en fuite est compliqué, nébuleux. « Leur relation n’est assurément pas romantique. Ils ne se tiennent jamais par la main, ils ne s’embrassent jamais, ils ne se donnent jamais de câlins. Ils ont un boulot à faire. Et ils le font. »

Un autre face-à-face qu’elle a beaucoup travaillé : celui qui l’oppose à l’actrice mexicaine Ofelia Medina. Lors d’un souper, dans une ambiance à couper au couteau, les deux femmes se jaugent, se scrutent, tentent de se déstabiliser à coups de répliques. « Les scènes à table, c’est comme les scènes de cour, s’amuse Melissa George. Ceux qui jouent les avocats ont beaucoup de dialogues ; les autres n’ont rien à dire ! C’était le cas ici. Ofelia et moi étions les seules à parler, les autres devaient se fondre dans leur siège, en silence. C’était difficile pour moi, car mon instinct me disait de jouer plus gros, plus sauvage. Mais il y avait beaucoup de subtilité dans cette confrontation. »

Il y avait nettement moins de subtilité dans sa garde-robe, à mille lieues des pièces haute couture qu’elle a l’habitude de porter. « C’était tellement moche ! Le pantalon bizarre, avec la ceinture comme ça et la veste courte comme ça, décrit-elle en mimant sa tenue. Mais c’était exprès. Ça, et les chaussures bien abîmées. »

Car les protagonistes sont en déplacement constant. « C’était difficile, je dois l’admettre. Vraiment difficile. Une journée de tournage, c’était dix heures de marche dans le désert mexicain, dans la canicule. En plus, les réalisateurs n’avaient pas beaucoup de sympathie pour nous. Après tout, c’est ce que les personnages font dans l’histoire : ils marchent dans le désert. Ça faisait… authentique. »

 

The Mosquito Coast

Apple TV+, dès le 30 avril