«Révolution» démocratise la danse

En plus de propulser la carrière des participants, la populaire émission Révolution, diffusée sur les ondes de TVA, a encouragé de nombreux jeunes téléspectateurs à s’inscrire à des cours de danse pour imiter leurs nouveaux modèles. « L’ effet Révolution » ne se traduit toutefois pas encore dans la fréquentation des salles de spectacle.
« Je suis tombé en amour, littéralement, avec la danse. […] Je voyais les danseurs à la télé, je les trouvais vraiment cool et j’ai eu envie de faire pareil », confie Hugo Brière, 16 ans, qui a découvert l’émission lors de sa deuxième édition en 2019.
À l’époque, il ne s’était jamais vraiment intéressé à la danse, dit-il. « Je ne faisais aucun sport, je n’avais aucune idée de ce que j’aimais. Et là, c’est devenu une évidence ».
En janvier 2020, Hugo s’est donc inscrit à des cours de hip-hop à l’Académie de danse Scream à Brossard, plus décidé que jamais à rattraper le temps perdu loin de cette discipline. Même la pandémie, qui a frappé trois mois plus tard, n’a pas réussi à éloigner l’adolescent de sa nouvelle passion. « Je suivais mes cours en ligne, j’ai même ajouté des leçons de musical jazz tellement j’aimais ça ».
Il passe maintenant ses jeudis soir à apprendre de nouveaux enchaînements au studio, et fait partie de deux troupes. Et lorsqu’il ne danse pas, il regarde Révolution — comme plus de 1,5 million de Québécois — se permettant même de rêver qu’un jour, « quand il aura le niveau », il passera peut-être les auditions.
« Il y a vraiment un engouement grâce à cette émission », renchérit sa professeure, Lynsey Billing, aussi directrice et fondatrice de l’Académie de danse Scream. « Les élèves parlent des chorégraphies, des danseurs, de leur révolution. Ils veulent essayer de nouveaux mouvements qu’ils ont vus à la télé et améliorer leur technique. »
Bond de popularité
« On a eu un pic après la saison 2, dans tous les styles qu’on enseigne », souligne Lynsey Billing. Un succès qu’elle rattache aussi à la présence de candidats de Révolution dans son école, comme élèves ou professeurs invités. Parmi eux, Yoherlandy — finaliste de la première édition et de retour dans la compétition cette année — ou encore le duo Willow, qui fait forte impression sur le jury cette année.
Pour les membres du duo Team White, gagnant de la première édition, l’« effet Révolution » est incontestable, non seulement pour leur carrière de danseurs, mais aussi pour leur école Studio Shake, à Blainville. « On avait 60 élèves à l’ouverture en 2018, avant Révolution. On est passé à 150 juste après notre victoire et on est à environ 300 en ce moment », confie Alexandre Leblanc.
Plusieurs autres écoles contactées par Le Devoir ont confirmé avoir vu une augmentation des inscriptions depuis l’existence de l’émission. « Nous avions eu le même effet à l’ouverture du studio en 2007 [avec] So You Think You Can Dance. Ces émissions sont réellement bénéfiques pour les écoles de danse », note la copropriétaire de Studio Danse Montréal Anne-Josée Grégoire.
La pandémie a bien sûr freiné cet élan en mettant les écoles sur pause. « On pense qu’en janvier, ça va repartir. La vaccination va bon train et arrive pour les jeunes, puis Révolution a repris et remis la danse dans la tête des gens », croit Linsey Billing.
« Révolution aide à démocratiser la danse au Québec, observe de son côté Nadine Medawar, directrice générale du Regroupement québécois de la danse. Les gens en parlent, pas juste dans le milieu de la danse. Dans les salons en famille, entre amis à l’école, entre collègues au travail. » Du hip-hop au contemporain, en passant par les danses latines, les claquettes ou la gigue, l’émission met en avant des styles de danses variés, éduquant ainsi le grand public à cette vaste discipline.
Mme Medawar se réjouit de plus de voir des discussions sur les conditions de travail des danseurs émerger dans l’espace public grâce à la popularité de l’émission. Cette année, les participants ont réclamé à la production une meilleure rémunération lors des journées de tournage, mettant sous les projecteurs la situation des danseurs. « L’artiste moyen en danse a un revenu annuel sous le seuil de la pauvreté », indique Mme Medawar.
« Poudre aux yeux »
Il faudra toutefois plus qu’une émission à succès pour encourager les Québécois à assister à un spectacle de danse, selon elle. « Ça prend plus de créations, à des prix plus abordables pour attirer un plus large public. »
En 2019, alors que toutes les disciplines des arts vivants ont attiré davantage de spectateurs en salle par rapport aux années précédentes, et ont même battu des records de vente de billets, la danse a été le seul domaine à enregistrer un recul, de 4 % par rapport à 2018, d’après une récente enquête de l’Observatoire de la culture et des communications de l’Institut de la statistique du Québec.
« Révolution est un show de télévision avant tout. Ça participe à démocratiser l’aspect circadien de la danse, mais c’est de la poudre aux yeux. Tout ce que tu vois, c’est une prouesse sportive de 1 minute 30 à la télévision. Ça n’incite pas les gens à aller voir des spectacles de danse en salle, qui sont beaucoup plus longs », renchérit Lucie Boissinot, directrice artistique et des études à l’École de danse contemporaine de Montréal. Elle estime qu’il y a une grande différence entre « la danse spectacle » proposée par Révolution et « la danse comme art de scène » présentée par les troupes de danseurs professionnels.
D’autres intervenants pensent que l’émission aura bel et bien une incidence sur la fréquentation des salles d’ici aux prochaines années. Puisque des modèles sont créés dans ce milieu, il faut s’attendre à ce que les jeunes — et moins jeunes — admirateurs les suivent dans leur carrière. Le spectacle de Janie et Márcio, gagnants de la saison 2, en témoigne. Syntonie, qui comptabilise déjà 17 représentations (sur 31), a connu un grand succès en salle.
Le spectacle Révolution en tournée, qui rassemble les finalistes de chaque saison, a aussi connu un départ « remarquable » en 2020. Juste avant la pandémie, 18 représentations à Montréal et Québec ont fait salle comble. Devant la vente rapide de billets pour les 22 autres dates de la tournée, qui reprend en février, la production a ajouté 9 représentations et d’autres sont à venir. Pour Sébastien G. Côté, directeur principal de la division spectacles et management chez Musicor, qui produit le spectacle, « il y a vraiment un engouement, comparable à celui pour les spectacles de variétés ».