Écouter pour voir (danser)

Depuis avril dernier, l’audiodescriptrice Valérie Castan enseigne sa pratique à 15 participants. Quatre d’entre eux travaillent actuellement sur la nouvelle création d’Alan Lake, L’effritement des parades (notre photo, en répétition), pour offrir une soirée en audiodescrition à quatre voix.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Depuis avril dernier, l’audiodescriptrice Valérie Castan enseigne sa pratique à 15 participants. Quatre d’entre eux travaillent actuellement sur la nouvelle création d’Alan Lake, L’effritement des parades (notre photo, en répétition), pour offrir une soirée en audiodescrition à quatre voix.

C’est par le truchement de la nouvelle création du chorégraphe Alan Lake, L’effritement des parades, que l’audiodescription en direct pour les personnes partiellement ou totalement privées de la vue fera ses débuts au Canada, la semaine prochaine. Mise en place par Danse-Cité, l’initiative a permis la venue d’une professionnelle du domaine, Valérie Castan, qui a traversé l’Atlantique pour venir former sur place, à Montréal, une cohorte d’audiodescripteurs québécois. Le Devoir est allé à leur rencontre, entre deux répétitions.

C’est après avoir constaté que rien n’était proposé en danse en matière d’accessibilité pour les aveugles et amblyopes en France que Valérie Castan s’est décidée à créer sa propre méthode, il y a près de dix ans déjà. « Je suis allée à l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs au Centre universitaire Dauphine à Paris pour apprendre la méthodologie pour audiodescription en cinéma. Ensuite, je l’ai transposée à la danse », raconte la professionnelle, qui a aussi évolué en tant qu’interprète dans l’Hexagone pendant 30 ans. Forte d’une décennie de pratique assidue, Valérie Castan a lentement mais sûrement réussi à prendre sa place. « Il y a une loi qui enjoint aux structures [françaises] de penser l’accessibilité pour toutes les déficiences sensorielles. De plus en plus de financements sont aussi accordés pour l’audiodescription », se ravit-elle.

Approchée par Danse-Cité l’an dernier, Valérie Castan décide alors de créer sa propre formation professionnalisante pour initier de nouveaux professionnels à l’art de décrire la danse. « C’est un travail d’observation de longue haleine. Il faut traduire des images en mots, oui, mais la danse, ce n’est pas seulement des images, c’est aussi des corps en mouvement. Il faut réussir à soulever les enjeux dramaturgiques et esthétiques », détaille l’audiodescriptrice.

Depuis avril dernier, Mme Castan enseigne donc sa pratique à 15 participants. Quatre d’entre eux travaillent actuellement sur la nouvelle création d’Alan Lake, L’effritement des parades, pour offrir une soirée en audiodescription à quatre voix. Parmi eux, on retrouve Enora Rivière, danseuse, chorégraphe, écrivaine et chercheuse, qui ajoute ainsi une nouvelle corde à son arc. « Il faut trouver les bons termes, et ce, en un minimum de mots parce que le mouvement va plus vite que la pensée. C’est tout un défi », exprime Enora Rivière, qui travaille depuis quelques années sur le récit chorégraphique.

Pour ce travail d’audiodescription, Alan Lake a assisté à plusieurs rencontres afin de livrer sa vision de la pièce, du matériel vidéo, etc. « C’est un vrai travail collaboratif. Je leur fais part du lexique que j’utilise en répétition, le nom de certaines séquences, par exemple “murs mouvants”, “femme dorée…”, mais aussi des qualités de gestuelle que je recherche, comme la fluidité, ou encore les sensations du corps, les dynamiques entre les interprètes », détaille-t-il.

Valérie Castan confirme que le travail d’audiodescription est une affaire de collaboration. « On essaie de récolter le maximum d’informations, parfois auprès des artistes eux-mêmes, du créateur ou encore du créateur de costumes, des techniciens… » ajoute-t-elle. La création du texte se fait alors au fil des informations récoltées et continue d’évoluer jusqu’au jour du spectacle, où ce dernier est lu en direct. « D’après moi, c’est important que ce soit en live, insiste-t-elle. Ça permet d’adapter l’audiodescription s’il se passe quelque chose, si un danseur se blesse, si un élément change par exemple. De plus, on propose une oralité d’ici et maintenant, donc la voix du lecteur est dans le temps présent. C’est aussi grâce à ça que le texte devient vivant et que le public concerné le ressent. Ça fait partie du jeu », explique-t-elle.

Ouvrir ses sens

 

Pour être au plus près de la réalité scénique, Valérie Castan touche toujours le décor, les différentes matières utilisées pour la création. « Notre travail, c’est de donner des informations par rapport aux éléments visuels. On tente de produire des images mentales, couplées à du ressenti », raconte-t-elle. Le jour du spectacle, l’audiodescriptrice propose aussi une rencontre avec le public. « Je propose une visite tactile avec le public concerné, qui permet de faire découvrir décor, costumes et accessoires. Un court moment d’atelier permet de “traverser”physiquement certains moments de danse du spectacle et de se familiariser au texte descriptif du chorégraphique. C’est une mise en bouche pratique qui permet d’augmenter l’empathie kinesthésique. »

L’œuvre d’Alan Lake offre, comme toujours, de nombreux éléments scéniques qui vont pouvoir aider à la compréhension du public : bâche, miroirs, eau, peinture dorée, légumes ou encore fleurs séchées font partie de la scénographie. De plus, le créateur travaille souvent avec des images picturales, inspirés de tableaux ou de mythes. « Ici, mon point de départ a été la divinité Perséphone, mais aussi la moisson, les fêtes païennes et le rituel du vivant, élabore le chorégraphe. Quelle est la vision du monde dans le contexte actuel, avec la crise climatique notamment ? Comment rebâtir rapidement un nouvel espace ? Faut-il laisser les humains se débrouiller ou Perséphone peut-elle sauver l’humanité ? »

« À la fin du spectacle, je prends un temps avec le public concerné de façon à recueillir les retours sur l’audiodescription et surtout parler du spectacle ! Le public vient voir un spectacle, c’est le spectacle qui compte, pas l’audiodescription ! » exprime Valérie Castan. Pour L’effritement des parades, une rencontre post-spectacle sera aussi proposée, une façon d’avoir des retours concrets du public concerné pour d’autres projets d’audiodescription au Québec.

L’effritement des parades

Chorégraphie d’Alan Lake, avec la complicité des interprètes : Odile-Amélie Peters, Fabien Piché, David Rancourt, Esther Rousseau-Morin. Une production d’Alan Lake Factori[e] en coproduction avec Danse Danse et Diffusion Hector Charland. Le 15 octobre au théâtre Hector Charland de L’Assomption, puis du 19 au 23 octobre à la Cinquième Salle de la Place des Arts. En webdiffusion en direct (avec audiodescription) les 22 et 23 octobre. Aussi le 4 novembre au Carré 150 de Victoriaville.

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