Le «nec plus ultra» du ballet contemporain

De Wayne McGregor à William Forsythe en passant par Marco Goecke, le Ballet national du Canada nous présente trois visages du ballet contemporain qui pourraient bien incarner autant de petites révolutions balletiques. Chroma, the second detail et Spectre de la rose, les pièces respectives de ces trois maîtres à danser, sont réunies pour la première fois en un seul et même programme.
« C’est une oeuvre de jeunesse de Forsythe, un étrange Goecke et l’ici et maintenant de McGregor, résume Karen Kain du BNC. Avec the second detail, on assiste au début du mouvement qui a amené le ballet dans une autre ère, dit celle qui dansait pour la troupe lors de la création de la pièce en 1991. C’était très “cutting edge” à l’époque. Chroma nous montre à quel point ce langage a été repoussé et combien on est allés loin. »
Vues ici seulement en 1995 et en 2004, au Festival international de nouvelle danse, les oeuvres de William Forsythe manient le vocabulaire du ballet avec une liberté quasi mathématique et une musicalité particulière. Créé sur mesure pour le BNC, the second detail revisite le langage de Balanchine et multiplie ses compositions géométriques. Un génie en appelle un autre… Et on peut parier que le ballet n’a pas pris une ride.
« La pièce a beaucoup évolué ; la robe d’Issey Miakey est portée par une femme à la fin et on a fait des changements très rigoureux dans les timings et les approches. »
Né aux États-Unis, Forsythe a passé une grande part de sa carrière en Allemagne comme danseur, puis directeur du Ballet de Francfort. En 2004, il fonde la Forsythe Company, qui a accueilli et nourri de nombreux jeunes chorégraphes, dont les Canadiennes Crystal Pite et Emily Molnar (directrice artistique du Ballet BC). Il a abandonné la direction artistique cette année pour devenir chorégraphe résident et diriger la nouvelle académie de ballet de l’Opéra de Paris.
Le BNC a été la première compagnie en Amérique du Nord à danser Chroma de Wayne McGregor en 2010, quatre ans après sa création au Royal Ballet de Londres. Le public montréalais renouera avec la fascination que le chorégraphe a exercée avec Entity et Far, lors de ses visites avec sa propre compagnie à Danse Danse en 2009 et 2011.
Le plus lyrique des trois chorégraphes, Marco Goecke, a réinventé le vieux ballet de Michel Fokine, Spectre de la rose (1911), à l’occasion du centenaire des Ballets Russes en 2009. Sur une scène jonchée de pétales, un groupe de six danseurs incarne ici le rôle du spectre. Mais le chorégraphe a gardé la vieille trame musicale. Un contraste « troublant », de l’avis de Karen Kain, qui « nous fait voir la musique d’une autre manière ». Le chorégraphe allemand est en résidence au Ballet de Stuttgart et associé au Nederlands Dans Theater.
Ces dompteurs de chaos et d’élégance démontrent toute « l’intelligence physique » que peut déployer le ballet d’aujourd’hui, comme le résume le maître de ballet du BNC sur le site Web de la troupe. Cette deuxième visite en mode contemporain du BNC ne montre qu’une facette du répertoire de la compagnie reconnue pour sa grande diversité. « C’est la version compacte de nos programmes », indique Mme Kain, qui rêve de venir à Montréal avec des productions majeures, tout public, avec orchestre, costumes et décors imposants, telles Alice au pays des merveilles ou La Belle au bois dormant. Et les quelque 70 danseurs de la troupe (dont une quarantaine seront à Montréal) savent tout autant interpréter les grands classiques comme Le Lac des cygnes.
Un autre souhait pour souffler ses 10 années de direction artistique ? « Je fais le même tous les ans : que les choses se passent bien et que les gens continuent de nous soutenir. C’est d’autant plus nécessaire quand on voit la fragilité des organismes artistiques, les grands comme les petits. On dépend de ce soutien public. Il est essentiel à notre succès artistique. »