Bob Rafelson en cinq films pas forcément faciles

Au départ l’une des figures phares du Nouvel Hollywood, Bob Rafelson, décédé à 89 ans, ne parvint finalement pas à s’imposer à long terme. Il n’empêche, sa filmographie recèle plusieurs films importants, voire fascinants, et au moins un chef-d’oeuvre. Jack Nicholson, son acteur fétiche avec qui il collabora maintes fois, n’hésitait pas à dire qu’il lui devait une bonne partie de sa carrière. Top 5 de ses meilleures réalisations.
5. Blood and Wine (1996). Dans ce néonoir, Jack Nicholson, justement, incarne un voleur sur le retour coincé entre une ex-alcoolique (Judy Davis), un beau-fils fourbe (Stephen Dorff), une nouvelle flamme (Jennifer Lopez), et un partenaire imprévisible — et asthmatique (Michael Caine). À sa sortie, le film ne fit pas de vague malgré un assez bel accueil critique. Pourtant, il s’agit d’une proposition aussi ingénieuse que savoureuse, portée par des interprètes inspirés, dont Michael Caine, qui confia par la suite qu’il avait dans les faits pris sa retraite, las de ne plus faire que des mauvais films, jusqu’à ce que son ami Jack Nicholson le convainque de rempiler pour Blood and Wine. Depuis, Caine vit un second souffle professionnel qui ne s’essouffle pas.
4. Mountains of the Moon (Aux sources du Nil ; 1989). Méconnu, ce magnifique drame d’aventures (direction photo du grand Roger « Blade Runner 2049 » Deakins) relate la quête obsessionnelle des explorateurs anglais Richard Francis Burton et John Hanning Speke, puis leur rivalité subséquente, visant à remonter jusqu’aux sources du Nil. À l’époque, Roger Ebert écrivait :
« Le film n’est pas l’un de ces drames épiques sur écran large qui aurait pu être réalisé par David Lean. L’écran est large, certes, et c’est épique, mais ce n’est pas un film intéressé par l’aventure ou l’action ; c’est un drame épique à propos des personnalités d’hommes ayant enduré d’incroyables épreuves à cause de leur curiosité, de leurs égos, avarice, ou même à cause de leur noblesse. »
3. The Postman Always Rings Twice (Le facteur sonne toujours deux fois ; 1981). Injustement malmené à sa sortie car s’attaquant à un classique du film noir, cette sixième (!) adaptation du roman de James M. Cain fut surtout comparé à celle de 1946 qu’embrasait Lana Turner. L’intrigue conte comment un travailleur errant et une épouse esseulée complotent pour assassiner le mari gênant de la seconde. Alors récemment à l’affiche dans All that Jazz en ange de la mort, Jessica Lange n’a rien à envier à son illustre prédécesseure. La chimie entre Jack Nicholson et elle est palpable, et leurs scènes d’amour sont haletantes.
À cet égard, le film pava la voie aux thrillers érotiques dont s’enticherait bientôt Hollywood, de Jagged Edge (À double tranchant, 1984) à Basic Instinct (1992) en passant par Fatal Attraction (Liaison fatale, 1987). Les éclairages fignolés de Sven Nykvist, complice d’Ingmar Bergman, ajoutent énormément à l’aura tour à tour poussiéreuse et sulfureuse du film. Pour l’anecdote, c’est là l’un des films favoris en carrière de Jack Nicholson.
2. Black Widow (La veuve noire ; 1987). Un autre film noir, ou néonoir, et un autre film quelque peu pris de haut à sa sortie mais qui s’avère a posteriori absolument brillant, Black Widow est peut-être l’oeuvre la plus mésestimée du cinéaste. On y suit, séparément, puis ensemble, une femme qui, sous le couvert de différentes identités, épouse des hommes riches, les tue et hérite de leur argent (Theresa Russell), ainsi que l’agente du FBI déterminée à la coincer malgré le manque de conviction de ses supérieurs, et collègues, masculins (Debra Winger). Bref, c’est là un film distinctement féministe, tant dans son choix de s’intéresser à une femme tueuse en série, encore une rareté au cinéma, que dans celui d’avoir pour héroïne une autre femme qui se bat, elle aussi, « dans un monde d’hommes », mais différemment. À nouveau stylisée et porteuse de sens, la direction photo était cette fois signée Conrad Hall.
1. Five Easy Pieces (Cinq pièces faciles ; 1970) et The King of Marvin Gardens (1972), à égalité. Chef-d’oeuvre existentialiste porté par ce qui reste sans doute la composition la plus complexe et poignante de Jack Nicholson, Five Easy Pieces permet de passer un court moment en compagnie d’un homme désenchanté et qui ne tient pas en place. Après avoir tourné le dos à sa famille bourgeoise, le voici forcé de regagner le giron de celle-ci sur fond de mort annoncée du patriarche (cette scène entre ce dernier, mutique, et Nicholson, à fleur de peau, est bouleversante). Avec également une Karen Black mémorable en fiancée serveuse qui fait tache dans le décor mondain. Pour The Guardian, Peter Bradshaw écrivait dans sa nécrologie de Rafelson :
« Coécrit avec Carole Eastman, c’est une tragicomédie élaborée, subtile, complexe et pleine de ruminations qui distingue [le film] d’une part appréciable du cinéma hollywoodien, que ce soit avant ou après la nouvelle vague, avec quelque chose de Chekhov ou de Dickens. »
Paru dans la foulée, et souffrant généralement de la comparaison, The King of Marvin Gardens est plus fantaisiste en apparence, mais brosse à terme un portrait similaire d’une Amérique éternellement en quête d’un rêve élusif, irréalisable. Nicholson y donne la réplique à Bruce Dern et Ellen Burstyn, les deux premiers campant des frères qui, à Atlantic City, tentent de convertir une plage morne en destination touristique incontournable.
Enfin, il faut signaler qu’en tant que producteur, Bob Rafelson permit à Easy Rider (qui révéla Jack Nicholson en 1969) et The Last Picture Show (La dernière séance ; 1971), films charnières, de voir le jour.
Les films mentionnés sont disponibles en VSD sur plusieurs plateformes, dont iTunes